Tous les mardis sur euradio, la spécialiste en affaires européennes et relations franco-allemandes Marie-Sixte Imbert analyse et décrypte les derniers événements et enjeux des relations franco-allemandes.
Les commémorations du 9 novembre ont été en 2023 marquées par une atmosphère toute particulière. Tout d’abord, que représente cette date ?
Le 9 novembre est un “Schicksaltag” : le “jour du destin”. L’histoire allemande en compte cinq, cinq tournants, entre ombre et lumière : 1848, 1918, 1923, 1938, 1989.
1848 d’abord : que s’est-il passé le 9 novembre ?
1848, c’est le “Printemps des peuples”, vaste mouvement révolutionnaire qui a ébranlé l’ordre conservateur européen issu du congrès de Vienne de 1815. Au sein de la confédération germanique, la “révolution de mars” a débouché notamment sur le Parlement de Francfort, première assemblée élue, et une constitution. Le 9 novembre 1848, ce fut l’exécution lors de la révolution d’octobre à Vienne, du député Robert Blum, un des leaders du mouvement libéral et national. Le 9 novembre marqua ainsi l’échec de la tentative de modernisation et de démocratisation allemande - même si ce travail a néanmoins ouvert la voie à l’unification de 1871, et inspiré les républiques de 1919 et 1949.
1848, l’échec donc de la démocratisation. A contrario, le 9 novembre 1918 est bien un succès en la matière ?
Ce fut la fin de l’Empire, et la proclamation de la première République allemande. Avec de nombreux paradoxes : la République de Weimar, porteuse d’espoirs de paix et de démocratisation, est née de la défaite de 1918. Et cette république même a été très vite menacée : deux heures après la proclamation de la “République de Weimar”, le spartakiste Karl Liebknecht proclamait à son tour “la République socialiste libre d’Allemagne”, sur le modèle soviétique, avant des années d’affrontements.
Avançons à 1923, dans l’entre-deux guerres.
Ce fut le “putsch de la brasserie” : dans une période de troubles politiques et économiques intenses, la tentative, ratée, de coup de force par Hitler et le NSDAP. Ce fut ensuite un procès source d’une notoriété nouvelle pour Hitler, et la rédaction de son pamphlet Mein Kampf en prison : ce 9 novembre devint un élément fondateur du IIIe Reich.
9 novembre 1938, sous le régime nazi : pouvez-nous rappeler ce qu’il s’est passé ?
La “Nuit de cristal” ou “Nuit des pogroms” a marqué un tournant dans la politique antisémite du régime nazi. Le bilan, humain et matériel, de ces pogroms organisés par le régime nazi à travers l’Allemagne, l’Autriche et les Sudètes a été lourd pour les citoyens de confession juive. Et les persécutions se sont accélérées.
Pour finir la liste des cinq 9 novembre, nous arrivons au 9 novembre 1989.
La chute du Mur de Berlin a symbolisé la fin de la Guerre froide. Elle a ouvert la voie à la réunification de l’Allemagne divisée, à l’ancrage démocratique de l’ex-Allemagne de l’Est - comme de l’Europe centrale et orientale - et à l’ancrage de l’Allemagne au sein de la construction européenne. Et pourtant, ce n’est pas le jour de la fête nationale : les Allemands lui ont préféré le 3 octobre, jour de l’unification, de la concrétisation des espoirs de 1989, et de la confirmation du rôle de la Loi fondamentale.
Le 9 novembre condense ainsi près de 2 siècles d’histoire allemande : nous en avions parlé l’année dernière. Mais en 2023, elle s’avère particulièrement complexe à commémorer : quel est l’impact des attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre, et la guerre entre Israël et le Hamas ?
Oui, cette date est complexe, à l’image de la complexité de l’histoire allemande récente, entre barbarie, espoirs et libertés. En 2018, le gouvernement allemand indiquait entretenir “la mémoire de ces événements” qui “mettent le pays devant ses responsabilités”. J’en viens à 2023 : les commémorations s’inscrivent dans un contexte de tensions majeures au Proche-Orient et sur la scène internationale.
De nombreux pays européens sont concernés par une recrudescence d’actes et de propos antisémites et des manifestations pro-Hamas plus ou moins violentes. En Allemagne, à l’aune de l’histoire, cela prend une résonance particulière. Le Chancelier Olaf Scholz a rappelé que "la sécurité d'Israël est raison d'Etat pour l'Allemagne". Et le 9 novembre 2023, le Président de la République fédérale a souligné qu”il est intolérable que 85 ans après les pogroms du 9 novembre 1938, les juifs ne se sentent pas en sécurité en Allemagne". Olaf Scholz a ajouté : “plus jamais ça”, “c’est une promesse sur laquelle repose l'Allemagne démocratique”, et “que nous devons tenir maintenant”. “Plus jamais ça, c’est maintenant” : c’est d’ailleurs ce qui a été projeté sur la porte de Brandenburg à Berlin.