Les relations franco-allemandes - Marie-Sixte Imbert

Triangle de Weimar et coopération franco-allemande

© Jonathan Sarago / MEAE Triangle de Weimar et coopération franco-allemande
© Jonathan Sarago / MEAE

Chaque semaine sur euradio, Marie-Sixte Imbert, consultante en affaires publiques et relations européennes, Senior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, décrypte les relations franco-allemandes et la politique intérieure de l'Allemagne.

La coopération franco-allemande connaît régulièrement des turbulences, mais de nouveau elle paraît grippée, voire enlisée. Qu’en est-il ?

Le sujet majeur de crispations en ce début de printemps 2024, c’est l’Ukraine, et le soutien que les Européens lui apportent. La France et l’Allemagne ont, au début de l’invasion russe en février 2022, été critiquées par leurs voisins d’Europe centrale et orientale : nos deux pays paraissaient trop modérés dans leur critique du Kremlin et leur soutien à Kiyv.

Aujourd’hui, la question du soutien fait bien sûr l’unanimité, les positions se sont rapprochées, mais la question des modalités reste grande. Tandis que la future élection présidentielle aux Etats-Unis en novembre 2024 fait peser une hypothèque : l’Allemagne reste fondamentalement attachée au lien transatlantique, tandis que la France, si elle y est attachée, prône en parallèle un renforcement de la défense européenne.

La polémique sur la possibilité ou non d’envoyer des troupes au sol en Ukraine, nous en avions parlé, a permis de lever un tabou et de susciter un intense débat, mais a aussi ajouté aux tensions.

Le 15 mars 2024, le Chancelier allemand a rassemblé le triangle de Weimar, en conviant le Président français et le Premier Ministre polonais Donald Tusk à Berlin. Le 12 février, les Ministres des Affaires étrangères s’étaient déjà réunis en France. Tout d’abord, le triangle de Weimar, qu’est-ce que c’est ?

Le triangle de Weimar, c’est une entente cordiale créée à la fin de la Guerre froide, en 1991, pour soutenir la Pologne dans son processus d’adhésion à l’Otan, et pour contribuer au rapprochement entre la Pologne et l’Allemagne - à l’image de la réconciliation franco-allemande.

C’est un canal utile, comme tout canal diplomatique et particulièrement au regard du poids des pays concernés, mais il a été relativement peu utilisé. La présence du parti Droit et Justice, PiS, au pouvoir en Pologne, pendant huit ans, avec son positionnement très atlantiste, ou les tensions sur l’état de droit, n’ont pas facilité les choses.

Ainsi l’arrivée au pouvoir de Donald Tusk en Pologne en décembre 2023, si elle n’apaise pas l’ensemble des différends, a permis en tous les cas de renouer le dialogue avec un partenaire essentiel, et les Européens en attendent beaucoup.

Un canal diplomatique utile donc mais relativement peu utilisé : pourquoi une réunion le 15 mars 2024 ?

Lors de cette réunion, la France, l'Allemagne et la Pologne se sont engagés à livrer davantage d’armes à l'Ukraine, qui en a besoin, et notamment de l’artillerie de longue portée. Avec une nouveauté particulièrement notable : la coalition sur les frappes en profondeur avait été abordée lors de la conférence d’aide à l’Ukraine du 26 février à l’Elysée, mais cette fois-ci l’Allemagne l’a ouvertement rejointe.

Concrètement, qu’est-ce que cela représente ?

Concrètement, pour livrer des armes à l'Ukraine, il est prévu d'acheter des armes sur les marchés, ou d’en produire en Ukraine avec des partenaires.

Il avait aussi été question de mobiliser les intérêts liés aux biens russes gelés depuis le début de la guerre en Ukraine, ce que le Conseil européen a acté le 22 mars 2024. Ce sont 200 milliards d’euros environ qui ont été gelés, et la Commission attend environ 3 milliards d’euros d’intérêt en 2024. Le “premier milliard” pourrait être versé à Kiyv “dès le 1er juillet”, a d’ailleurs déclaré Ursula von der Leyen, la Présidente de la Commission européenne.

Des avancées importantes ont donc été annoncées lors du sommet du triangle de Weimar le 15 mars, qui a aussi pu préparer des décisions européennes. Dans le contexte de tensions de la relation franco-allemande que nous connaissons, le triangle de Weimar peut-il la relayer ?

Ils ne s’opposent pas, et peuvent effectivement se compléter utilement. Les tensions sont nombreuses, sur l’énergie, le commerce, le budget européen… mais particulièrement importantes sur l’Ukraine. France et Allemagne ont des objectifs communs évidents, mais la manière de les traduire est différente.

Par l’ampleur des conséquences de la guerre en Ukraine, cette dernière agit comme un puissant révélateur de ces différences. Pour citer le Président français, le 16 mars dans un entretien au Parisien, “La manière de les traduire est différente parce que les cultures stratégiques de nos pays sont différentes”.

Dans ce contexte particulier, le triangle de Weimar permet d’ouvrir la relation franco-allemande, bilatérale - qui doit d’ailleurs toujours rester ouverte aux autres Etats membres. Le triangle de Weimar permet également de réunir trois pays majeurs en Europe, aux histoires et aux perspectives différentes sur les enjeux européens : en les réunissant, vous réunissez non pas l’ensemble, mais un large pan des sensibilités européennes. Dialoguer, coopérer, construire un compromis qui ne soit pas le plus petit dénominateur commun, la démarche est intéressante.