Les relations franco-allemandes - Marie-Sixte Imbert

Berlin en pleine crise budgétaire… et politique

© Ricardo Gomez Angel sur Unsplash Berlin en pleine crise budgétaire… et politique
© Ricardo Gomez Angel sur Unsplash

Chaque semaine, Marie-Sixte Imbert, consultante en affaires publiques et relations européennes, Senior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, décrypte les relations franco-allemandes et la politique intérieure de l'Allemagne.

Ce n’est pas à l’Allemagne que l’on pense spontanément sur un tel sujet, mais le pays connaît une crise budgétaire majeure. Que s’est-il passé ?

Le 15 novembre 2023, après une plainte du parti chrétien-démocrate, la CDU, le Tribunal constitutionnel a interdit au gouvernement fédéral de réaffecter 60 milliards d’euros du fonds spécial de soutien à l’économie face à la Covid-19, à la transformation écologique de l’économie. Le Tribunal a ainsi rappelé le principe de la “Schuldenbremse”, le “frein à la dette”, inscrit dans la Loi fondamentale depuis 2011.

Selon ce mécanisme, hors situation exceptionnelle, le déficit budgétaire fédéral est limité à 0,35 % du PIB. ⅔ des Allemands le soutiennent, comme les Libéraux du FDP - qui participent au gouvernement fédéral. Or depuis 2 ans, ce dernier a eu tendance à créer de tels fonds spéciaux en dehors du budget régulier pour répondre à des besoins imprévus - en 2022, par exemple, 100 milliards d’euros pour la défense, ou 200 milliards pour l’économie. Conséquence : la décision du Tribunal représente un véritable séisme juridique, budgétaire et politique.

Quelles sont les conséquences budgétaires de cette décision du Tribunal constitutionnel ?

Les fonds spéciaux sont remis en cause. A court terme, la décision remet en cause le budget 2023, alors que l’on est déjà en fin d’année, et que les négociations étaient en cours pour le budget 2024. Il faut donc faire des choix : par exemple, les subventions pour les secteurs d’avenir comme les semi-conducteurs doivent être maintenues, mais les aides pour l’énergie vont s’arrêter au 31 décembre.

A plus long terme, les marges de manœuvre pour répondre au défi immense de la transition écologique sont réduites. Berlin a certes réduit la part de la dette fédérale de 82 à 64,6 % de son PIB depuis 2010 - une performance qui contraste avec la France où elle est passée de 85 à 112,5 % du PIB - mais le bilan est plus contrasté. Le délabrement de l’armée a imposé un plan massif de remise à niveau. Il faut décarboner de manière urgente l’économie - le 30 novembre 2023, la Cour administrative de Berlin-Brandebourg a condamné l’Etat fédéral à prendre de telles mesures dans les transports et le bâtiment, deux secteurs qui génèrent respectivement 20 % et 30 % de CO2. Alors que les infrastructures de transport ou numériques souffrent d’un manque chronique d’investissements. Et tandis que la dette des Länder n’est pas si bien contrôlée - même si certains ont introduit la “Schuldenbremse” dans leur Constitution.

Des marges de manœuvre réduites donc pour le gouvernement fédéral. Quelles sont les conséquences politiques de cette situation ?

Pour la coalition, c’est une véritable épée de Damoclès. Ces fonds spéciaux paraissaient fragiles, mais ils permettaient des investissements massifs, et de résoudre la quadrature du cercle entre les sociaux-démocrates du SPD, les Verts et le FDP, dont les priorités et intérêts stratégiques au vu de l’évolution de la situation politique du pays peuvent diverger. La décision du Tribunal constitutionnel redore le blason de FDP, et de son président et Ministre des Finances, Christian Lindner.

D’un point de vue politique, l’opposition de la CDU récolte les fruits de ces blocages, avec 15 points de plus dans les sondages que le SPD. Mais aussi l’extrême-droite de l’AfD, avec des sondages records. C’est d’ailleurs peut-être la dernière chose qui fera tenir la coalition actuelle en place.

Différentes options sont sur la table : des économies massives, ce que souhaite le FDP ; contourner la “Schuldenbremse” au motif d’une situation exceptionnelle, ce que souhaitent le SPD et les Verts ; réformer le frein à la dette - mais il faut pour cela rassembler les ⅔ des voix au Bundestag ; voire… des élections anticipées en cas de blocage politique sans solution parlementaire.

Nous sommes à quelques mois des élections européennes de juin 2024 : quelles peuvent être les conséquences de la situation actuelle ?

L’Allemagne considère la situation actuelle avant tout comme un problème germano-germanique. Mais il s’agit d’une industrie majeure, et de la première économie, qui contribue à hauteur d’¼ au budget européen. Or des négociations complexes sont en cours pour augmenter le budget européen pluriannuel afin notamment de continuer à soutenir l’Ukraine, ou pour réviser les règles budgétaires communes. Un raidissement de Berlin peut avoir un lourd impact : rendez-vous au prochain Conseil européen, les 14 et 15 décembre 2023.

Au-delà, à six mois des européennes, c’est la tonalité de la campagne qui pourrait être affectée, la possibilité de faire campagne sur des thématiques véritablement européennes, et son résultat. Rendez-vous le 9 juin 2024.Chaque semaine, Marie-Sixte Imbert, consultante en affaires publiques et relations européennes, Senior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, nous décrypte les relations franco-allemandes et la politique intérieure de l'Allemagne.