Tous les mardis sur euradio, la spécialiste en affaires européennes et relations franco-allemandes Marie-Sixte Imbert analyse et décrypte les derniers événements et enjeux des relations franco-allemandes.
Le 25 mai 2023, l’Allemagne est entrée en récession. Qu’est-ce que cela signifie ?
Que les chiffres ont été moins bons qu’attendus : destatis, l’Insee allemand, avait tablé jusqu’ici sur une stagnation de l’économie allemande au premier trimestre 2023.
L’Allemagne est donc entrée en récession car son PIB a reculé au cours de deux trimestres d’affilée, de 0,5 % fin 2022, et de 0,3 % début 2023. Une curiosité linguistique apparaît ainsi dans les débats, avec le terme de “croissance négative” désormais employé à Berlin. Cette récession, c’est une première depuis 2020 et la pandémie de la Covid-19 : c’est bien sûr une mauvaise nouvelle pour l’Allemagne, mais aussi pour la France et pour l’Europe.
Cette annonce de récession a été au moins en partie une surprise : pourquoi ?
Parce que si l’économie allemande montrait des signes de faiblesse, elle semblait bien résister. Il y a certes des questions structurelles : le bouleversement des chaînes d’approvisionnement et de valeur, le manque de main-d’œuvre notamment qualifiée, la concurrence entre les États-Unis et la Chine, ou le besoin urgent de moderniser les infrastructures allemandes. Sans oublier les effets de l’invasion russe en Ukraine, l’arrêt des importations énergétiques russes, et l’inflation. La France a sans doute été un des pays européens les plus rapides à soutenir les ménages et l’économie, mais l’Allemagne s’y était mise également à l’automne 2022, en parallèle du développement d’alternatives énergétiques - tandis que les prix du gaz commencent à baisser.
Pourquoi ces mesures n’ont-elles pas suffi ?
Parce que l’inflation reste encore très élevée, à plus de 7 % en avril 2023 sur un an. Et parce que les taux d’intérêt augmentent depuis juillet 2022 alors que la Banque centrale européenne entend lutter contre l’inflation. Cela pèse sur les dépenses publiques (- 4,9 % en Allemagne début 2023) et la consommation des ménages (- 1,2) - malgré la baisse de l’épargne, et des hausses de salaires depuis l’automne 2022.
L’économie allemande a ainsi du plomb dans l’aile : la production manufacturière a chuté de 3,4 % en mars 2023 sur un an (dont -6,5 % pour la seule industrie automobile), les commandes industrielles ont quant à elles chuté de 10,7 %, et les exportations de 5,2 % (dont quasiment 10 % vers la Chine). Un symbole : alors même que Volkswagen vend toujours à Pékin quatre de ses voitures sur dix, au printemps 2023, le groupe a perdu après deux décennies son titre de premier constructeur automobile de Chine, au profit… du chinois BYD.
L’Allemagne est donc en récession : pourquoi est-ce une mauvaise nouvelle pour ses voisins ?
Un chiffre : l’Allemagne est la première économie européenne - et le premier partenaire économique au sein de cet espace très interconnecté. Si les situations intérieures diffèrent, inflation et hausse des taux d’intérêt sont un choc que tous les Etats membres connaissent. La demande baisse, l’investissement aussi, et les incertitudes sont grandes.
Cette récession à Berlin peut inquiéter notamment les pays qui lui sont les plus proches : l’Europe centrale, la France (et notamment ses régions est), l’Italie, via les exportations. D'autant que si les relations politiques entre Paris et Berlin sont pour le moins compliquées depuis l’automne 2022, nos liens économiques sont sortis renforcés de la crise de la Covid-19. Près d’un cinquième des exportations françaises concernent ainsi l’Allemagne, dans l’automobile et ses équipements, la métallurgie, les matières plastiques, la pharmacie ou l’agroalimentaire. Si la récession allemande ne signifie pas automatiquement une récession pour ses voisins, cela va compliquer les choses.
Quelles réactions se sont fait jour en Allemagne à l’annonce de cette récession ?
Le Chancelier Olaf Scholz a voulu se montrer rassurant - il faut dire qu’à ce stade le gouvernement allemande table sur une reprise progressive en 2023, pour une croissance totale de 0,4 %. Mais au sein de la coalition fédérale, des voix dissonantes se sont faites entendre : le Ministre de l’Economie et de la Protection du Climat par exemple, le Vert Robert Habeck, s’est inquiété de coupes budgétaires - alors que 20 milliards d’euros manquent encore pour boucler le projet de budget 2024. Cette récession apporte de l’eau au moulin des détracteurs de cette coalition fédérale qui, selon les sondages, ne disposerait plus d’une majorité en cas d’élection, et qui connaît des dissensions fortes en son sein.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.