Chaque semaine sur euradio, Marie-Sixte Imbert, consultante en affaires publiques et relations européennes, Senior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, décrypte les relations franco-allemandes et la politique intérieure de l'Allemagne.
Les relations franco-allemandes sont compliquées depuis un moment, mais sur les questions de défense, les choses avancent à petit pas. Parlons du char du futur : de quoi s’agit-il ?
Le projet de char de combat du futur, le MGCS, ou Mobile ground combat system, a été lancé en 2017. L’objectif est de disposer d’un “système de combat terrestre ultramoderne doté de technologies de pointe et capable de s'imposer dans les combats de haute intensité”, selon le ministère des Armées. Ce MGCS doit ainsi être un système modulaire : avec un char de combat de nouvelle génération, mais aussi, notamment, un système de défense contre les drones et des armes téléguidées.
Mais depuis 2017, ce projet a connu de nombreuses difficultés. Ces problèmes portaient sur le cahier des charges, face aux différences de besoins entre nos deux armées. Ces difficultés concernaient aussi, ou surtout, la répartition de la charge de travail entre industriels français et allemands. Des difficultés à la fois techniques, opérationnelles, économiques, industrielles… et politiques, dans le cadre d’un projet cofinancé à parts égales et au long cours. Des difficultés typiques des écueils à affronter pour bâtir une future défense européenne.
Ce printemps 2024 a donc été marqué par des avancées attendues de longue date.
Oui, avec la signature le 26 avril 2024 de l’accord d’engagement de la phase 1A du programme du MGCS par les ministres français et allemands, Sébastien Lecornu et Boris Pistorius. Autrement dit, c’est la répartition industrielle entre Paris et Berlin qui a été actée. Elle s’appuie sur huit piliers technologiques, notamment la plateforme, le feu, les systèmes embarqués, les capteurs, la protection globale ou l’infrastructure. Certains piliers sont sous commandement binational, d’autres sous commandement français ou allemand. La répartition a été faite, et voulue, de manière égale.
Que peut-on désormais attendre pour le MGCS ?
C’est une nouvelle phase de recherche, de développement et de conception qui s’ouvre, pour aboutir à un pré-démonstrateur. Concrètement, les contrats associés à l’étape actuelle doivent être notifiés aux industriels concernés d’ici fin 2024. Parmi ceux déjà mobilisés, il y a eu bien évidemment KNDS, Rheinmetall Landsysteme, Thales, mais aussi Safran, Diehl, ou MBDA.
Est-ce la fin des tensions franco-allemandes autour de ce projet, et plus largement autour des questions de défense ?
Sans doute pas complètement. Le diable se niche dans les détails, du calibre des canons par exemple, et la route est encore longue avant d’arriver à une version opérationnelle. En mars 2024, Boris Pistorius avait annoncé que le MGCS serait visible, au plus tôt, en 2035. Le futur char du futur franco-allemand doit ainsi remplacer d’ici l’horizon 2040 les Leclerc français et les Leopard allemands.
Plus largement, d’autres projets avancent comme celui du système de combat aérien du futur, le SCAF. En avril 2024, la Belgique est devenue observatrice de ce projet à l’origine franco-allemand : cela témoigne de l’intérêt continu de ce projet, mais n’obère pas toutes les difficultés.
Pourquoi le MGCS et le SCAF attirent-ils autant l’attention ?
Ce sont des projets sophistiqués produits par la base industrielle et de défense européenne. Ils participent de l’autonomie stratégique et de la souveraineté industrielle européennes : leur valeur symbolique et politique est donc grande, pour le franco-allemand comme pour la défense européenne.
Mais ce sont aussi des projets qui coûtent très cher. Et qui représentent des budgets conséquents pour les industriels qui y participent, avec des tensions importantes.
Ces projets s’inscrivent dans un contexte plus large, de réflexions et de propositions pour faire avancer la défense européenne.
Oui, quelques exemples : en mars 2024, les ministres français et allemand de la Défense ont appelé à créer un Conseil des ministres européens de la Défense - qui n’existe pas en tant que tel aujourd’hui. Tandis qu’Ursula von der Leyen, l’actuelle présidente de la Commission européenne et candidate à sa propre succession, propose de nommer un commissaire spécifiquement chargé de la Défense - aujourd’hui, c’est Thierry Breton, aux côtés d’autres sujets. Sans compter les débats sur l’arme nucléaire française, ou le parapluie américain, en cas de retour de Donald Trump à la Maison blanche en janvier 2025.
Mais le chemin est encore long. L’Italie a préféré s’associer au Royaume-Uni et au Japon pour étudier un nouveau modèle d’avion concurrent du SCAF. Beaucoup d’Européens préfèrent acheter “sur étagère”, aux Etats-Unis, plutôt que d’opter pour des programmes européens communs. Faire émerger une véritable défense européenne demandera encore des trésors de patience et de diplomatie.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron