Chaque semaine sur euradio, Marie-Sixte Imbert, consultante en affaires publiques et relations européennes, Senior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, décrypte les relations franco-allemandes et la politique intérieure de l'Allemagne.
2023 a-t-elle été une année marquante pour le franco-allemand, après le soixantième anniversaire du traité de l’Elysée le 22 janvier ?
Le moteur franco-allemand est reparti, avec des rencontres, des projets, une dynamique politique renouvelée, et surtout une dynamique économique, culturelle, humaine toujours présente. Mais l’année 2023 aura aussi été assez poussive, pour différentes raisons. La dynamique politique a été en partie bloquée par les difficultés politiques au sein de nos deux pays, dans un contexte politique, économique, environnemental européen et international très complexe. Et les sujets de tension ne manquent pas entre la France et l’Allemagne, malgré la profondeur des liens.
L’atmosphère a-t-elle changé depuis les tensions de l’automne 2022 ?
Oui, certainement : le dialogue a été rétabli, et les célébrations du 60e anniversaire du traité de l’Elysée ont permis de redonner une certaine dynamique politique - même si peu d’avancées concrètes avaient été faites. L’année 2023 n’a pas été marquée par beaucoup de grandes annonces, mais il y a néanmoins eu des accords sur l’énergie, sur les règles budgétaires européennes, ou le retour des trains de nuit entre Berlin et Paris.
L’énergie est un point de dissension majeur entre la France et l’Allemagne. Quels accords ont pu être trouvés ?
Les tensions ont été nombreuses, sur le mix énergétique, sur la transition - en Allemagne, cela a concerné les pompes à chaleur, ou la fin le 1er janvier 2024 du bonus pour l’achat de voitures électriques.
Sur le projet de réforme européen du marché de l’électricité, les tensions ont été très fortes. Les modèles énergétiques de nos deux pays sont très différents (on peut penser au nucléaire en France !), avec des structures économiques et une répartition géographique des besoins au sein de nos deux pays qui diffèrent - en Allemagne, la production renouvelable est surtout au Nord, quand la majorité des entreprises grandes consommatrices sont au Sud. Mais les enjeux sont en grande partie communs : éviter la flambée des prix, renforcer la compétitivité économique, accélérer la décarbonation afin de répondre à l’urgence environnementale. Un accord a été trouvé le 17 octobre 2023 au Conseil de l’UE, à la suite du sommet franco-allemand des 9 et 10 octobre. Le nucléaire peut être intégré dans le nouveau mécanisme de prix, et les règles européennes de la concurrence respectées. L’accord européen interinstitutionnel doit maintenant être voté.
Vous parliez également d’un accord sur les règles budgétaires européennes : de quoi s’agit-il ?
On aurait pu finir par ne plus y croire, mais un accord franco-allemand a permis d’ouvrir la voie à un accord au Conseil de l’UE mi-décembre 2023. Le blocage concernait notamment les efforts des Etats membres en situation de déficit excessif, c’est-à-dire quand leur déficit budgétaire dépasse les 3 % de PIB. Le nouveau pacte de stabilité et de croissance est un peu plus flexible que le précédent, avec des ajustements plus progressifs, tout en conservant des règles, et des règles relativement comparables. Chacun peut donc y trouver des éléments satisfaisants. Pour Berlin et sa coalition en difficultés, comme pour Paris où la question des comptes publics reste toujours complexe notamment lorsqu’il s’agit d’investir, c’était sans doute l’essentiel.
Que peut-on attendre pour 2024 ?
A priori, une visite officielle du président Emmanuel Macron à Berlin en mai - celle-là même qui avait été reportée en raison des émeutes que connaissait la France, en juin-juillet 2023. Ce serait l'occasion de donner du contenu politique à une relation qui a pu en manquer ces dernières années. “Le tandem franco-allemand est plus important que jamais”, c'est ce qu'ont rappelé les ministres des Affaires étrangères Annalena Baerbock et Stéphane Séjourné le 14 janvier à Berlin.
Mais cela ne doit pas faire oublier combien la relation franco-allemande repose aussi, et peut-être avant tout, sur tous ceux qui apprennent la langue de l'autre, partent en échange, développent des coopérations, des projets communs, cherchent à aller au-delà des idées préconçues pour apprendre de l'autre. La relation politique entre Paris et Berlin a pu perdre beaucoup de sa consistance depuis quelques années, mais cette autre relation n’a rien perdu de sa vigueur. En 2024, année des élections européennes, allons au-delà des discours et critiques simplistes : écoutons, examinons ce que nous faisons nous-mêmes, et travaillons à construire des compromis - qui ne sont pas des compromissions - positifs pour tous.