Des solutions pour l'Union

Comment l’UE peut financer l’action climatique internationale ?

©Mídia NINJA sur flickr Comment l’UE peut financer l’action climatique internationale ?
©Mídia NINJA sur flickr

Tous les mois, Théo Heurtel donne un coup de projecteur sur des idées innovantes présentes dans « l’espace public européen ». L’objectif de cette chronique ? Décrypter et synthétiser des projets issus de la société civile ou du monde académique dans la perspective des élections européennes.

Aujourd’hui je vais vous parler d’un rapport de CAN Europe1, une coalition d’ONG environnementales européennes. Ce rapport qui a été publié le 19 septembre dernier vise à trouver des sources de financement pour l’action climatique internationale et notamment pour le fonds pour les pertes et dommages.  

Le fonds pour les pertes et dommages… est-ce que vous pouvez nous rappeler ce que c’est ?

Oui, souvenez vous, lors de la Cop 27 les États se sont mis d'accord pour mettre en place un fonds pour les pertes et dommages d’un montant minimum de 100 milliards de dollars annuels. Ce fonds aussi appelé fonds pour les pertes et préjudices doit en théorie être abondé par les pays riches et vise à fournir une assistance financière aux pays les plus vulnérables et les plus touchés par les effets du changement climatique. La Cop 28 est censée opérationnaliser ce fonds, mais les modalités de son financement sont encore à définir. Et c’est justement à la question du financement que le rapport essaye d’apporter des solutions.  

Alors ce que les auteurs nous disent, c’est que pour financer un tel fonds le mieux serait de mettre des taxes mondiales. Et c’est vrai qu’à long terme si l’on maintient un tel degré de libre échange et que l’on veut rester dans les clous de l'accord de Paris alors il faudra mettre en place des taxes mondiales qui pousseront les secteurs les plus polluants à intégrer le coût du changement climatique dans leur modèles économiques. Or à court terme la faisabilité politique de telles taxes est inexistante. Et comme l’urgence climatique implique d’agir tout de suite, le rapport propose que l’Union européenne agissent dès maintenant en mettant en place des taxes européennes.

Mais, est-ce que l’opinion publique européenne est prête à accepter des transferts de ressources fiscales vers les pays en développement alors que les européens sont déjà frappés par les conséquences de la crise du covid et l’inflation qui a suivie la guerre en Ukraine ?

Le rapport  donne justement à l’UE et à ses responsables politiques 3 éléments qui permettent de renforcer l’acceptabilité sociale de ces transferts fiscaux.

-Le premier élément c’est la justice fiscale. Il faut qu’il y est une  progressivité de l’impôt, c’est-à-dire faire en sorte que la charge de ces impôts reposent sur les ménages et individus les plus riches. Par exemple, le rapport propose une taxe sur l’utilisation des jets privés et les yachts. Il propose aussi un impôt sur la fortune européen : qui impacterait les 1% les plus riches.

-Il faut que ces taxes européennes répondent aussi à un souci de justice climatique : il s’agit de faire comprendre à l’opinion publique que le fonds pour les pertes et les dommages ne relève pas de la charité internationale mais de la justice climatique en application du principe pollueur-payeur.

Quelle est la différence entre la solidarité internationale et la justice climatique ?

Il ne s’agit pas ici d’agir par pitié mais bien de réparer un dommage, celui de la pollution. Car en effet, les pays en voie de développement sont ceux qui contribuent le moins au changement climatique et pourtant ce sont eux qui en subiront le plus les conséquences.  Et comme l’Europe à une responsabilité historique dans le changement climatique, il est juste qu’elle reverse une partie de ses ressources vers les pays qui en subissent les effets.
 Concrètement, l'application de ce principe de justice climatique se traduit de la manière suivante, les taxes qui portent sur des activités polluantes doivent être en priorité celles qui doivent être redirigées vers le fonds pour les pertes et dommages. La taxe carbone aux frontières, le marché des quotas européens et son extension, une potentielle taxe sur les entreprises productrices de combustibles fossiles ou encore une future taxe sur le kérosène pourraient affecter une part plus importante de leurs recettes au financement international de la lutte contre le changement climatique.

Enfin, dernier élément justifiant ces transferts de revenus fiscaux. C’est qu’ils constituent une opportunité pour obtenir la mise en place d’une convention-cadre des Nations unies sur la fiscalité qui est le moyen le plus efficace pour lutter contre l’évasion et l’optimisation fiscale.

Quel est le rapport entre la lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscale et le financement de l’action climatique internationale ?

Eh bien parmi les pays qui toucheraient le fonds pour les pertes et les dommages il y a notamment les « petits États insulaires en développement », des Etats dont l’existence territoriale même est menacée par la montée des eaux, que l’on pense aux Bahamas, aux îles Fidji, ou aux îles Marshall. Or ces petits États ont un point commun, ce sont des paradis fiscaux.  Et Ils auraient tout à fait intérêt à accepter une réforme globale de la taxation si celle-ci servirait à alimenter des transferts de revenus en leur faveur. Selon le rapport, en plus de s'attaquer à la fraude et l’abus fiscal, une telle convention pourrait par la suite servir à développer de potentiel taxes mondiales que nous évoquions au début de cette chronique.

D’accord mais au final, combien d’argent l’UE serait capable de mettre sur la table ?

Au total si l’on rassemble toutes les taxes existantes et nouvelles du rapport comme une taxe sur les transactions financières, ou sur le digital, l’UE pourrait débloquer entre 15 et 60 milliards d’euros par an en transferts fiscaux et ce sans même prendre en compte l’ISF européen.

Néanmoins, dans la mesure où la mise en place de mesures fiscales suppose l’unanimité des membres au conseil de l'UE, sans changement des traités, certaines de ces mesures fiscales sont peu probables à court terme. Les auteurs du rapport encouragent tout de même les Etats à commencer et dans certains cas à continuer de travailler sous la forme de la coopération renforcée.

Bibliographie :

Tramullas, Nina. « New Sources for Public Climate Finance and for the Loss and Damage Fund ». CAN Europe (blog), 19 septembre 2023. https://caneurope.org/new-sources-for-public-climate-finance-loss-damage-fund/

1 Tramullas, « New Sources for Public Climate Finance and for the Loss and Damage Fund ».

Entretien réalisé par Laurence Aubron.