Planète compromise ?

Le juteux business du contreplaqué de bouleau russe dans l’Union européenne

Le juteux business du contreplaqué de bouleau russe dans l’Union européenne

Chaque semaine, retrouvez Sophie Lemaître, Docteure en droit, experte des questions de corruption et d’environnement, pour comprendre comment la corruption et les crimes liés à l’environnement mettent en danger notre planète.

Le 29 janvier, l’ONG britannique Earthsight a publié une enquête qui secoue l’Union européenne. De quoi est-il question ?

Pendant 9 mois, des membres d’Earthsight ont enquêté sous couverture sur le commerce de contreplaqué de bouleau d’origine russe au sein de l’Union européenne. Or, depuis juillet 2022, l’importation directe et indirecte de contreplaqué de bouleau d’origine russe est interdite. Cette interdiction fait suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. On ne devrait donc pas trouver de contreplaqué de bouleau d’origine russe sur le territoire européen. L’ONG a filmé ses interactions avec des entreprises qui ont admis qu’acheter ce bois était illégal mais qu’il y avait plusieurs techniques pour pouvoir contourner l’interdiction.

Comment les entreprises s’y prennent-elles ?

Et bien tout simplement en achetant le contreplaqué à des pays tiers comme la Turquie, la Chine, la Géorgie, le Kirghizistan ou encore le Kazakhstan. Le bois transite par ces pays, ce qui permet de dissimuler son origine et donc de le blanchir. Il est alors réétiqueté comme provenant de ces pays. Avec ces nouveaux papiers, il peut être exporté vers l’Union européenne. Et voilà, le tour est joué.

Quels sont les pays concernés ?

Les plus gros importateurs de ce bois interdit sont la Pologne, l’Allemagne, l’Espagne, le Portugal, l’Italie et l’Estonie. Le contreplaqué de bouleau d’origine russe est utilisé pour fabriquer des cuisines, des jouets, des murs d’escalade, des meubles, ou encore des revêtement de sol. Donc sans le savoir, vous avez peut-être chez vous des meubles faits à partir de bois russe.

Quelle est l’ampleur de ce commerce illégal ?

Selon Earthsight, ce serait plus de 500 000 mètres cubes de contreplaqué de bouleau russe pour une valeur d’environ 1,5 milliards d’euros qui serait entré dans l’Union européenne entre juillet 2022 et octobre 2024. En gros, c’est l’équivalent de 20 camions remplis de bois qui entreraient chaque jour sur le territoire européen. Et c’est un vrai problème, bien au-delà du fait que des entreprises européennes ne respectent pas les règles. Car ce qu’il faut avoir en tête c’est que c’est autant d’argent qui peut servir à la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. D’autant que certaines des entreprises russes qui fournissent le bois sont liées à des oligarques qui ont rencontré Poutine le jour de l'invasion de l'Ukraine et que le bois provient de forêts gérées par l’Etat russe.

Ce n’était pas la première fois que des enquêtes montraient le contournement de l’interdiction d’importation du contreplaqué de bouleau russe.

Effectivement, ICIJ, le Consortium international des journalistes d’investigation, avait déjà révélé en juin 2023 comment du bois russe arrivait en Europe. D’autres enquêtes ont aussi été publiées par des journalistes au Danemark, en Pologne et en Lituanie. Earthsight a également déposé plainte contre 31 entreprises localisées dans neuf Etats membres pour l’importation de bois russe. Donc l’Union européenne et les Etats membres ne pouvaient pas dire qu’ils ignoraient le problème.

L’Union européenne n’a-t-elle pas pris des mesures pour stopper ce commerce illégal ?

Oui et non. En mai 2024, par exemple, la Commission européenne a étendu les mesures antidumping sur les importations de contreplaqué de bouleau en provenance de Russie aux importations en provenance du Kazakhstan et de Turquie. Mais ça n’a pas eu l’effet escompté. Il existe aussi depuis 2013 le Règlement sur le bois de l’Union européenne qui interdit de mettre sur le marché européen du bois d’origine illégale et qui impose aux importateurs une analyse de risques. En théorie, un super règlement mais en pratique les contrôles par les autorités de chaque Etat membre sont quasi inexistants même si les Pays-Bas, la Lituanie, la Belgique, la Lettonie ont sanctionné des entreprises pour avoir importé du bois russe. Mais les sanctions sont dérisoires. Donc bien évidemment, sans contrôle, sans sanction dissuasive, le commerce illégal de bois russe continue et ainsi nourrit l’effort de guerre russe. L’application du Règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts qui remplace le Règlement de 2013 à partir de décembre 2025 pourrait contribuer à lutter contre ce commerce illégal. Mais à nouveau, tout dépendra des moyens donnés pour contrôler son application.

Une interview réalisée par Laurence Aubron.

Sources :

Earthsight, Blood-stained birch – exposing the EU trade in Russian conflict ply (2025)

RFI, Les importations européennes de bois de bouleau russe en plein essor (2025)

Euronews, Le Portugal impliqué dans un système d'importation illégale de bois en provenance de Russie (2025)

ICIJ, EU efforts to slow the influx of illegal Russian timber marred by poor enforcement (2024)

ICIJ, How Russia’s timber trade is sidestepping the EU’s Ukraine war sanctions (2023)

Earthsight, Earthsight files complaints against 31 EU firms following confirmation of Russian wood use by their birch ply suppliers (2024)

Commission européenne, EU tackles circumvention of anti-dumping tariffs on birch plywood imports (2024)