Chaque semaine, retrouvez Sophie Lemaître, Docteure en droit, experte des questions de corruption et d’environnement, pour comprendre comment la corruption et les crimes liés à l’environnement mettent en danger notre planète.
La demande mondiale en or a atteint un nouveau record l’année dernière. Cette année ne devrait pas faire exception. Et malheureusement son exploitation n’est pas sans conséquences.
En effet, Laurence. L’extraction de l’or est souvent synonyme de pollution de l’eau et de contamination des sols avec les produits chimiques utilisés comme le mercure, mais aussi de déforestation, de perte de biodiversité ainsi que de problèmes de santé pour les populations environnantes. Sans compter le déplacement forcé de population, les agressions sexuelles ou encore les conditions de travail indignes et du travail des enfants. Tous ces effets négatifs sont exacerbés par le fait que les mines d’or illégales sont légion en Amazonie comme au Pérou ou en Bolivie mais aussi en Afrique par exemple au Ghana ou à Madagascar. Le secteur aurifère attire des acteurs dangereux comme le crime organisé et les groupes armés. L’exploitation de l’or nourrit d’ailleurs les conflits en République centrafricaine, en République démocratique du Congo et au Soudan du Sud.
Pourquoi les pratiques illégales sont-elles répandues dans ce secteur ?
Déjà, il y a la forte demande mondiale que ce soit pour la joaillerie ou les banques centrales. Les profits que l’on peut se faire avec l’extraction de l’or peuvent dépasser ceux du trafic de drogue. La chaîne d’approvisionnement de l’or est également complexe. Les contrôles sont quasi-inexistants, d’autant plus que l’exploitation de l’or a souvent lieu dans des zones reculées, extrêmement difficiles d’accès. Il est aussi très facile de dissimuler l’origine de l’or. Ce qui peut aboutir à des situations ubuesques. Par exemple, en 2015, l’ONG Public Eye s’est étonnée que la Suisse importe chaque année plusieurs tonnes d’or du Togo alors que le pays n’en produit pas. En réalité, l’or venait du Burkina Faso. En fait, il suffit de faire fondre l’or et de le raffiner à plusieurs reprises ou de le faire transiter par plusieurs pays pour cacher le pays d’origine. Dubaï est un paradis pour l’or illégal qui y fait escale avant de rejoindre des pays comme la Suisse, la Belgique ou le Royaume-Uni. Tout ça fait que l’or est un investissement rentable et peu risqué.
Quel est le rôle de la corruption ?
Il faut savoir que l’exploitation de l’or peut être faite par des multinationales de manière industrielle mais aussi de manière artisanale avec des mineurs ou des orpailleurs. La corruption touche ces deux types d’activités. A Madagascar où l’exploitation est principalement artisanale, on constate des pratiques de corruption à toutes les étapes de la chaîne d’approvisionnement : de l’extraction, au transport intra Madagascar à l’exportation. La corruption va faciliter les activités illégales, par exemple pour obtenir des permis d’exportation, de fausses certifications, pour éviter les contrôles que ce soit au niveau des mines, des routes ou des aéroports. Les forces de l’ordre et l’armée sont souvent impliquées. Elles vont par exemple offrir une protection en échange d’une partie de la production de l’or ou d’une rémunération.
J’imagine qu’avec la corruption on doit aussi avoir du blanchiment.
Oui, tout à fait. L’or extrait va être blanchi pour dissimuler son origine. On va avoir du blanchiment d’argent. Par exemple, si vous avez beaucoup de cash lié au trafic de drogue ou à une autre activité criminelle, acheter de l’or à Dubaï ou en Inde, c’est une bonne manière de blanchir l’argent sale. D’ailleurs un gros réseau de trafiquants de drogue a été démantelé en France en 2014. C’est comme ça qu’il fonctionnait. L’or extrait illégalement est revendu et les profits réalisés servent à alimenter d’autres activités criminelles. Le blanchiment lié à l’or est facilité par le manque de contrôle, notamment de l’industrie de la joaillerie qui n’est pas très regardante. En théorie, les entreprises devraient vérifier l’origine de l’or et s’assurer que leurs fournisseurs ne sont pas impliqués dans des activités criminelles mais ce n’est malheureusement pas vraiment le cas. Donc, Laurence, la prochaine fois que vous achèterez un bijou en or, demandez d’où vient l’or.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.
Sources :
- Public Eye, Un filon en or, 2015
- Al Jazeera, Six secrets uncovered by Al Jazeera’s Gold Mafia investigation, 2023
- Basel Institute on Governance, Corruption in gold mining and recycling, 2022
- The Sentry, Understanding Money Laundering Risks in the Conflict Gold Trade From East and Central Africa to Dubai and Onward, 2020
- Clément Rabenandrasana, Ignace Harris Daniel, Rabemazava, Le secteur de l’or à Madagascar : au cœur des pratiques illicites Le cas de Dabolava et Betsiaka, 2020
- Marcena Hunter, Tarnished hope – crime and corruption in South Sudan’s gold sector, 2023
- Marcena Hunter, Par-delà le sang - Or, conflits et criminalité en Afrique de l'Ouest, 2022
- FATF, Money laundering / terrorist financing risks and vulnerabilities associated with gold, 2015