Par les mots qui courent…

Liaisons dangereuses

Liaisons dangereuses

Une fois par mois, Alexandra Fresse-Eliazord décrypte les mots de l’actualité pour nous faire prendre un peu de recul sur le vocabulaire employé par les personnes publiques, les responsables politiques, les journalistes ou les entrepreneur.es.

Allez-vous nous parler série aujourd’hui, Alexandra ?

Alors oui, mon titre de chronique « Liaisons dangereuses » fait bien référence au livre de Choderlos de Laclos, dont sort une nouvelle adaptation en série, mais je ne suis pas la seule à voir vu dans cette actualité l’occasion d’une accroche, puisque le journal Libération titrait le 20 novembre dernier, au sujet des prochaines Municipales « Entre LFI et le PS, les non-liaisons dangereuses ». L’idée développée dans cet article est que les tensions entre les insoumis et les socialistes risquent d’empêcher les fusions et favoriser ainsi la droite, voire l’extrême droite.

Et donc, vous développez, vous, une chronique autour du mot liaison ?

Oui, et pas qu’autour du mot, mais sa connotation, tout d’abord, ici, c’est que la liaison, c’est quelque chose de fort, voire d’intime (une liaison), et que l’on se lie quand on est vraiment raccord. Quand il y a « accord ».

Mais le verbe « lier » induit également la notion d’entraves : on attache (on s’attache) et l’on se retrouve ainsi prisonnier d’une alliance (qui, on l’a bien vu à l’Assemblée nationale, entre le PS et LFI, n’a pas tenu longtemps).

On reste dans les connotations… ?

Alors si on veut aller par-là, on pourrait citer les « liaisons dangereuses », du président Trump avec son ami Epstein… mais nous n’en parlerons pas ici, les développements étant en cours.

Le mot lien m’intéresse plus : faire du lien, aujourd’hui, c’est mettre en relation (autre mot qui peut être connoté) deux éléments dont le rapprochement permet une meilleure compréhension des choses. Mais on le voit aujourd’hui : confondant la corrélation avec la causalité, tout à chacun peut « voir des liens », se fabriquer des explications du monde qui lui conviennent, et les « preuves » visuelles qui vont avec : bienvenue dans le monde de la post-réalité, pour reprendre le concept cher au sociologue Gérald Bronner.

Mais allons voir de plus près ce lien que fait la liaison, au sens phonétique, également entre deux mots.

C’est important les liaisons !

Oui, à la radio, ou dès que l’on enregistre une voix, les liaisons bien placées rendent l’écoute plus agréable, voir, plus compréhensible. Si bien que tombant dernièrement sur un répondeur fait par une voix de synthèse, j’ai été heurtée par la prononciation sans liaison d’un « vous avez » (composé ce numéro), et a contrario j’ai été amusée, par une petite erreur de prononciation de la francophile Jodie Foster (dans un entretien pour France 2), racontant à propos du film le Silence des Agneaux qu’elle se demandaient si les gens « z » allaient aimer ». Un excès de zèle, ici…

Ce n’est pas toujours facile la prononciation…

Bien sûr, et on en fait des virelangues, pour celles et ceux qui veulent l’exercer, avec et sans liaison, avec le fameux : « je veux-et j’exige, j’exige et je veux » (à répéter : voici votre nouveau jeu de matin !).

Un bon exercice avant vos chroniques !

En fait, je décide de mes chroniques chaque mois à partir de l’identification dans l’actualité de la répétition d’un mot, ou d’un même champ lexical. Et là, ces derniers temps, dans le JT de France 2, c’est ma fille qui a repéré une répétition, de jour en jour et sur plusieurs semaines, une liaison trop appuyée, dans un groupe nominal, sujet de bien des sujets traités dans ce journal : « les gens-z-aisés ». Tellement appuyé, ce son « z » que l’on pourrait comprendre que les gens zézaient, ce qui est juste un défaut de prononciation, alors que là, « les gens-z-aisés » ces deux mots accolés ne deviennent plus qu’un, une expression consacrée en tout cas dans la grand-messe du 20h, pour une catégorie qu’il faut donc distinguer des autres, puisque l’on en parle si souvent, et qui est peut-être perçue comme homogène ? Je constate que l’appui sur la liaison manque de nuance autant que la catégorisation.

Car la liaison, pour être agréable doit être subtile… Pas sûre que la Marquise de Merteuil aurait cautionné.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.