Toutes les semaines, les Jeunes Européens de Strasbourg reviennent sur un des sujets qui ont fait la Une de la presse européenne. Ce lundi, Théo Boucart nous parle des demandes d'adhésion de la Finlande et de la Suède à l'OTAN vues par les médias de ces deux pays.
Théo, la guerre en Ukraine semble avoir des répercussions à des milliers de kilomètres de la ligne de front…
En effet, mercredi 18 mai, la Finlande et la Suède ont officiellement demandé leur adhésion à l’OTAN. Cette nouvelle est bien plus importante qu’elle n’y paraît au premier abord, et je vais l’expliquer à nos chers auditeurs dans quelques instants.
Mais avant cela, quelques éléments de contexte. Dimanche 15 mai, le Président finlandais, Sauli Niinistö et la première ministre finlandaise Sanna Marin ont fait une déclaration commune lors de laquelle l’exécutif finlandais a officiellement annoncé sa volonté de rejoindre l’organisation du traité de l’Atlantique nord. Le Président Niinistö avait alors parlé “d’un jour historique et de l’ouverture d’une nouvelle ère”. Un communiqué conjoint publié quelques jours plus tôt avait d’ores et déjà annoncé la couleur : “La Finlande doit immédiatement candidater à l’OTAN”. Quelques heures à peine après la prise de parole d’Helsinki, c’est au tour de la première ministre suédoise, Magdalena Andersson, d’annoncer la volonté du royaume nordique d’intégrer l’OTAN. Pour la cheffe du gouvernement, cette décision “est la mieux à même de garantir la sécurité du peuple suédois, alors que des actions russes dans le voisinage immédiat de la Suède ne sont pas exclues”. Le danger russe, presque existentiel quand on voit l’acharnement avec lequel Vladimir Poutine agit pour tenter de détruire l’Ukraine, aura finalement eu raison de la neutralité finlandaise et suédoise.
L’intégration des deux pays à l’alliance ne devrait cependant pas prendre trop de temps d’un point de vue technique, dans la mesure où la Finlande et la Suède sont considérés comme les deux pays non-membres les plus proches de l’OTAN, en termes de culture stratégique comme d’infrastructures militaires. La ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a même dit en apprenant les demandes d’adhésion que la Finlande et la Suède étaient “des membres qui, simplement, n’ont pas encore leur carte”.
Cette décision des exécutifs finlandais et suédois est-elle spontanée, ou le fruit d’une mûre réflexion ?
Évidemment, ces décisions traduisent une inquiétude certaine des pays nordiques vis-à-vis de la Russie. Les deux pays nordiques possèdent toutefois une tradition de neutralité ou de non-alignement depuis plusieurs décennies, voire plusieurs siècles.
Concernant la Finlande, un traité avec l’URSS en 1948 a mis en place une neutralité forcée, également appelée “finlandisation”. Pendant toute la période de la guerre froide, Helsinki entretenait des relations privilégiées avec l’Union soviétique, et restait à l’écart du développement de l’OTAN. La chute de l’URSS n’a pas été pour autant l’occasion d’une révolution copernicienne, malgré l’adhésion du pays à l’Union européenne en 1995. Dès 2014 néanmoins, avec l’annexion de la Crimée par la Russie, ainsi que le déclenchement de la guerre au Donbass, la Finlande, par la voix de son premier ministre de l’époque, Alexander Stubb, avait réfléchi à rejoindre l’OTAN. Sans grande action concrète jusqu’à présent.
S’agissant de la Suède, la neutralité remonte à bien plus loin, à la fin des guerres napoléoniennes, pour être précis ! Le pays a donc été neutre pendant les deux conflits mondiaux du XXème siècle, mais cette notion a été remplacée dans les années 1990 par celle, plus flexible, de “non-alignement militaire”. Il y a encore 6 mois, le ministre suédois de la Défense affirmait que le pays ne déposerait pas de demande d’adhésion à l’OTAN tant qu’il serait à ce poste.
Comment réagissent les populations finlandaises et suédoises à cette inflexion majeure dans la politique étrangère de leur pays ?
Autant la décision de rejoindre fait très largement consensus en Finlande, avec plus des trois-quarts des Finlandais approuvant l’adhésion, autant l’opinion publique suédoise est bien plus partagée, la perspective de rejoindre l’OTAN ne satisfaisant qu’à peine la moitié des Suédois. Des sources diplomatiques reprises dans les médias ont également indiqué que la Suède n’aurait jamais osé demandé son adhésion à l’OTAN si la Finlande ne l’avait pas fait en même temps. On observe également une solidarité entre les pays du Conseil nordique. Dans un article du journal finlandais Helsingin Sanomat, on pouvait lire que la Norvège, le Danemark et l’Islande, trois pays fondateurs de l’OTAN, ont annoncé qu’ils feraient “tout leur possible” pour aider leurs voisins à intégrer rapidement l’alliance.
On imagine que la Russie ne restera pas muette face à cette extension de l’OTAN à ses frontières ?
Oui, avec l’adhésion des deux pays nordiques les plus étendus, la mer baltique deviendra un “lac otanien” hautement stratégique, dotant l'Organisation d’un accès renforcé dans la région arctique. Saint-Pétersbourg, la deuxième ville de Russie, se retrouverait ainsi à 150 kilomètres des troupes de l’alliance, le cas échéant. Le président Poutine a particulièrement condamné le choix de la Finlande, notamment dans un appel téléphonique avec le Président Sauli Niinistö. Un communiqué du Kremlin a également affirmé que “la fin de la politique traditionnelle de neutralité militaire serait une erreur, puisqu’il n’y a aucune menace à la sécurité de la Finlande”. La Russie a d’ores et déjà commencé à imposer des sanctions à son voisin en suspendant les livraisons d’électricité. Le fait que l’autocrate russe soit si virulent avec la Finlande tient également au fait que les deux pays partagent plus de 1300 km de frontières communes. Un tracé qui doublerait ainsi la longueur de la zone de contact entre la Russie et l’OTAN.
Finalement, on peut dire que l’agression russe en Ukraine pousse des pays traditionnellement neutres dans les bras de l’alliance militaire occidentale. Vladimir Poutine sent que la situation lui échappe de ce côté, et c’est peut-être ce qui le rend encore plus dangereux.
Et maintenant, quelles sont les prochaines étapes ?
Alors il faut savoir qu’une intégration dans l’OTAN ne se fait pas en un claquement de doigts. A titre de comparaison, l’intégration de la Macédoine du Nord avait mis plus d’un an. Concrètement, la demande officielle du 18 mai a ouvert un processus durant lequel les 30 membres de l’alliance doivent unanimement approuver l’intégration des candidats, puis doivent convenir des conditions d’intégration, pour enfin voir les pays candidats signer un protocole d’accession au traité de Washington, texte fondateur de l’OTAN. Concernant l’unanimité des membres, on peut se poser des questions du côté de la Turquie qui a laissé planer le doute sur la possibilité de mettre son véto à la candidature de la Suède notamment, en raison de liens supposés que le pays entretient avec des organisations kurdes. Le Secrétaire général de l’OTAN, ainsi que des représentants américains ont pourtant assuré que la position turque ne remettait pas en cause le lancement de la procédure d’adhésion. Une adhésion que la Finlande et la Suède espèrent rapide, afin de bénéficier entièrement de toute la protection qu’offre l’OTAN dans un contexte géopolitique particulièrement tendu en Europe.