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Les 100 premiers jours de la Commission : l’Europe peut-elle être puissante ?

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Euronomics sur euradio est une émission du Centre de Politique Européenne, think-tank spécialisé dans l’étude des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem, économiste de formation, est le représentant en France.

Bonjour Victor Warhem, aujourd’hui, vous allez nous parler des trois projets que la Commission européenne doit présenter dans le cadre de ses 100 premiers jours.

Oui Laurence, dans le cadre de ces 100 premiers jours de la Commission Von der Leyen II, qui sont censés se terminer le 10 mars 2025, il est prévu que trois projets d’ampleur occupent l’agenda.

Tout d’abord, le projet d’« AI Factories » - ou usines d’IA -, des centres dans lesquels des serveurs nouvelle génération – composés des meilleures puces du marché à l’heure actuelle, les GPUs de NVIDIA, qui coûtent très cher – vont produire de l’intelligence artificielle pour de nombreuses startups – dans la biologie moléculaire ou la robotique par exemple.

Par ailleurs, il y a également le Clean Industrial Deal – censé compléter le Green Deal avec des mesures en faveur d’une politique industrielle verte.

Enfin, il y a également le livre blanc sur l’avenir de la Défense européenne, destiné à poser les bases d’une Europe de la Défense, au moins d’un point de vue industriel avec un marché unique et un soutien financier en perspective.

Trois projets très différents, qui reflètent néanmoins les priorités de Von der Leyen.

Tout à fait !

Le premier projet d’ « AI Factories » porté par Henna Virkkunen, vice-présidente exécutive en charge de la technologie, la souveraineté et de la démocratie, veut positionner le continent européen dans la course à l’IA avec 1,5 milliards de dépenses prévues en Finlande, Suède, Allemagne, Luxembourg, Italie, Espagne et Grèce.

Ces pays ont des prix de l’énergie élevée contrairement à la France qui bénéficie encore largement de l’efficacité du nucléaire, ce qui explique que la Commission cherche à améliorer leur compétitivité dans le domaine de l’IA en prenant à son compte une partie des investissements nécessaires au décollage du secteur dans ces pays. On peut néanmoins déplorer que la France – en pointe sur l’IA – ne bénéficie pas d’un coup de pouce également.

Et pour ce qui est du Clean Industrial Deal ?

Le Clean Industrial Deal vise lui à améliorer la compétitivité des industries concourant à la transition énergétique, là où le Green Deal lancé en 2019 par la première Commission Von der Leyen, a surtout introduit des textes nécessaires mais sévères pour les entreprises, comme la directive sur le reporting lié à la durabilité des entreprises.

Et donc que prévoit le Clean Industrial Deal dans ce contexte ?

Pour l’heure, nous n’avons pas les détails contrairement aux « AI Factories » qui ont été présentées dès décembre. Le Clean Industrial Deal sera ainsi présenté le 26 février par ses acteurs principaux, notamment les vice-présidents Stéphane Séjourné et Theresa Ribera-Rodriguez.

Pour autant, nous avons déjà quelques grandes lignes. Ses objectifs principaux seront (1) la décarbonation des secteurs à forte intensité énergétique tels que la sidérurgie, le ciment et la chimie, (2) le soutien à l’innovation verte et (3) la création d’emplois durables dans ces secteurs.

Pour ce faire, le Clean Industrial Deal va simplifier au maximum le cadre réglementaire instauré par le Green Deal, accélérer l’accès au financement public et privé des entreprises souhaitant développer des technologies vertes, et renforcer les chaines d’approvisionnement, notamment en métaux critiques pour la transition.

Et s’agissant du livre blanc sur l’avenir de la Défense européenne ?

Ici, Laurence, le flou prédomine. Il est difficile de savoir précisément ce que va contenir le projet dont la présentation a été reportée au 19 mars, soit après la fin des 100 premiers jours de la Commission, afin de lui permettre de prendre en compte – tout simplement - les résultats des élections législatives allemandes du 23 février prochain.

On sait qu’il portera surtout sur le développement de l’industrie européenne de la Défense. Le Commissaire européen à la Défense et l’Espace Andrius Kubilius a même estimé que l’Union devait contribuer à ajouter des centaines de milliards d’euro d’investissement dans le secteur – même s’il est plus probable qu’au niveau européen, nous arrivions à environ 100 milliards supplémentaires.

Certains signaux laissent même penser que son ambition pourrait être au final revue à la hausse – ce qui est rare en Europe ! – afin d’en faire un instrument qui prépare véritablement l’Europe à la guerre, notamment avec son voisin russe. Dans un contexte d’instrumentalisation de l’Alliance atlantique par Trump, ceci n’est pas irrationnel.

C’est pourquoi la Commission a mis sur pied le 7 janvier dernier un groupe de travail dédié à l’établissement d’une Union européenne de la Défense. Il n’est donc pas impossible qu’au-delà de l’intégration industrielle prévue, les armées nationales voient également leurs agendas évoluer sur la base de cette nouvelle union.

Et donc, que tirez-vous de ces trois projets comme conclusions pour la mandature qui commence, Victor Warhem ?

Ces trois projets indiquent que l’Union européenne n’a pas dit son dernier mot, malgré les tentatives de déstabilisation récente de la part d’Elon Musk notamment, et compte bien peser dans les champs stratégiques de l’IA et de la transition, ainsi que dans le champ régalien avec une Union européenne de la Défense.

A son rythme. Avec les moyens qui sont les siens. Mais Rome ne s’est pas faite en un jour. Avancer sur ces sujets permet à l’Union européenne de continuer à s’affirmer comme puissance significative à l’échelle internationale.

Soyons optimistes, les crises qui se succèdent offrent bel et bien une opportunité de progresser ensemble. Et je fais de plus en plus le pari que nous serons capables collectivement de sortir de la confrontation sino-américaine par le haut.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.