Euronomics sur euradio est une émission du Joint European Disruptive Initiative (JEDI), think-tank spécialisé dans l’étude des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem, économiste de formation, est Senior Fellow.
Victor, aujourd’hui, vous allez nous parler du retour du moteur franco-allemand et de l’impact attendu des mesures que devraient prendre la nouvelle coalition allemande, rien que cela.
Oui Laurence, le programme est ambitieux aujourd’hui, pour traiter un domaine qui l’est tout autant. Après l’élection - relativement chaotique – de Friedrich Merz au poste de chancelier mardi dernier, il est temps de se mettre au travail et de voir ce que cette nouvelle coalition va apporter à l’Europe.
Pour commencer, en matière de moteur franco-allemand donc.
Oui, en matière de moteur franco-allemand, Friedrich Merz et Emmanuel Macron affichent une entente presque inouïe par rapport aux standards auxquels nous nous étions habitués avec le chancelier Scholz.
Friedrich Merz assume en effet depuis la victoire des conservateurs aux législatives allemandes en février dernier un discours très pro-européen, qui doit passer par de nouvelles avancées dans les domaines suivants :
(1) En matière de politiques de défense tout d’abord, avec une allocation probablement importante du plan de relance de 500 milliards d’euros à la base industrielle et technologique de défense européenne et un approfondissement des chantiers communs comme le MGCS, char du futur, ou le SCAF, avion de combat du futur.
(2) En matière de politiques énergétiques également, avec une étonnante volonté affichée outre-Rhin de chercher à développer avec les Français la nouvelle génération de réacteurs nucléaires de petite taille, les SMR, levant ainsi un tabou allemand bien ancré.
Dans quels autres domaines également, Victor Warhem ?
On peut ajouter deux autres domaines clés :
(3) En matière de compétitivité industrielle et de souveraineté technologique, avec un agenda affirmé de dérégulation européenne côté allemand, soutenu par le gouvernement français ; mais aussi le plan allemand de 500 milliards dans les infrastructures annoncé ; une volonté d’approfondir l’Union européenne des marchés de capitaux ; ainsi qu’une discussion qui débute sur de possibles investissements communs dans les technologies du futur, comme l’IA, l’hydrogène ou les biotechnologies, pour donner un avantage à l’UE vis à vis des États-Unis et de la Chine.
(4) Enfin, en matière de politique étrangère, la nomination pour la première fois en 60 ans d’un ministre CDU des affaires étrangères laisse présager d’une volonté d’unicité dans la voix portée par l’UE hors de ses frontières. Ceci pourrait avoir des conséquences dans de nombreux domaines : politiques commerciales bien sûr, mais également politiques financières, énergétiques, migratoires, etc.
En effet, le programme est prometteur. Mais qu’envisagez-vous en matière d’impact économique des mesures prises par la nouvelle coalition ?
Pour répondre à cette question, penchons-nous plus précisément sur les mesures clés qui apparaissent dans l’accord de coalition.
Outre les plans de relance dans la défense et les infrastructures qui vont directement créer des opportunités pour tout type d’entreprises européennes - à commencer par les plus grandes comme Alstom, Thalès, Engie, Vinci, ou Dassault Aviation en France - et réduire probablement le déficit bilatéral commercial français à l’égard de l’Allemagne, je veux mettre l’accent plutôt sur les mesures essentiellement fiscales qui pourraient profiter à l’industrie européenne.
Allons-y, quelle mesure pour commencer ?
Tout d’abord, la dépréciation dégressive de 30% pour les nouveaux équipements acquis entre 2025 et 2027, qui va drastiquement réduire le revenu imposable des entreprises et donc encourager le renouvellement de leurs équipements industriels. En 2023, la France exportait pour 11,6 milliards de dollars de matériels industriels vers l’Allemagne, et sera donc une grande bénéficiaire de cette mesure, à commencer par Schneider Electric, Legrand ou Alstom.
Mais encore, Victor Warhem ?
Deuxièmement, la baisse graduelle de l’impôt sur les sociétés de 15% à 10% de 2028 à 2032 va améliorer la compétitivité industrielle outre-Rhin et inciter des entreprises françaises comme Michelin ou Safran à ouvrir de nouveaux sites complémentaires à ceux implantés en France, renforçant par là-même un modèle de croissance européen.
Troisièmement, la hausse du crédit d’impôt recherche allemand pour les PME de 25% à 35% des dépenses de R&D va faciliter les coopérations industrielles innovantes transfrontalières.
Enfin, de nouvelles mesures de soutien à l’hydrogène vert et aux technologies bas-carbone devrait également soutenir l’écosystème partout en Europe, y compris en France avec des entreprises comme McPhy Energy on Genvia, désormais plus enclines aux “joint ventures” outre-Rhin.
L’Allemagne semble en mesure de soutenir une bonne partie de l’économie européenne. Mais quelles sont les limites de cet effort, Victor Warhem ?
Il convient effectivement de tempérer un peu notre enthousiasme, dans la mesure tout d’abord où il est probable qu’une partie du plan de relance dans la défense soit en réalité allouée aux États-Unis après accord entre Merz et Trump, peut-être au moment du sommet de l’OTAN en juin, comme je le suggère dans cette chronique depuis quelque temps déjà.
Par ailleurs, l’élection au deuxième tour de Merz à la chancellerie mardi semble surtout être le fruit d’un mécontentement de la part de la frange la plus rigoriste de la CDU, s’affichant ouvertement contre la politique de dépenses engagée par le nouveau gouvernement.
Nous pourrions donc avoir une Zeitenwende 2.0 : c’est à dire beaucoup d’annonces, et peu de dépenses concrètes en réalité pour relancer l’économie allemande et européenne si les rigoristes gagnent en influence.
Quelle attitude adopter, au final ?
Un optimisme raisonnable et prudent ! Le chancelier Merz veut être à la hauteur de l’Histoire malgré les dissensions internes. Et le duo volontariste Macron-Merz est prometteur.
Il convient maintenant de s’assoir et d’apprécier le spectacle de l’approfondissement européen qui devrait se jouer devant nos yeux.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.