Euronomics sur euradio est une émission du Centre de Politique Européenne, think-tank spécialisé dans l’étude des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem, économiste de formation, est le représentant en France.
Aujourd’hui, vous allez nous parler de la Boussole de compétitivité présentée hier par Ursula von der Leyen et Stéphane Séjourné. De quoi s’agit-il ?
Il s’agit, ma chère Laurence, d’un document inédit, une sorte de « stratégie des stratégies » destinée à tracer les sillons d’une politique de compétitivité européenne.
Si nous devions comparer à la mandature précédente, ce texte équivaudrait tout simplement au Green Deal, détaillé en décembre 2019. La Boussole de Compétitivité est donc le document le plus important pour comprendre l’agenda économique européen des cinq prochaines années. Il peut également être vu comme une extension du Green Deal dans la mesure où l’accent reste mis sur les technologies de transition, même si le champ d’action comprend désormais la plupart des secteurs stratégiques.
Un document fleuve donc, mais qu’apporte-t-il concrètement ?
C’est une excellente question, Laurence.
Tout d’abord, il a le mérite de condenser la stratégie industrielle étalée sur une quinzaine de portefeuilles de Commissaires et Vice-Présidents de la Commission, et qui avait déjà été détaillée dans les lettres de mission de septembre dernier.
Au-delà de ce travail de synthèse, classique pour les communications de la Commission, ce document a le mérite d’apporter quelques adaptations par rapport au projet initial pour répondre aux très rapides bouleversements qui secouent le monde en raison de l’accélération de la compétition entre la Chine et les Etats-Unis pour la domination technologique.
Qu’entendez-vous par-là, Victor Warhem ?
J’entends que, tout d’abord, le calendrier de « livraisons » des stratégies et projets de loi présenté dans le texte est condensé sur 2025 et 2026, ce qui indique que la Commission a bien compris qu’il fallait agir vite pour sortir l’Europe de l’ornière.
Ceci est confirmé par les propos mêmes de Stéphane Séjourné qui n’a pas manqué de souligner l’unanimité européenne des 27 qui a prévalu au moment de l’adoption de la communication au Conseil. Les chocs Stargate et plus récemment Deepseek – eh oui, les changements de paradigmes ont lieu deux fois par semaine en ce moment – accentuent drastiquement le malaise économique ressenti en Europe et nous poussent à agir vite.
Par ailleurs, l’accent mis sur l’allègement administratif à destination des entreprises, avec des mesures prévues dès le mois prochain – ce qui constitue bien une accélération par rapport au calendrier initial –, montre que la Commission est prête à tout pour faciliter un retour de l’Europe dans la course à la croissance.
Enfin, une mesure emblématique et ambitieuse a été mise au cœur de cette boussole de compétitivité, c’est le fameux 28ème régime, qui avait l’objet de ma deuxième chronique il y a bien longtemps déjà, en octobre 2024, et qui devrait donc permettre – dès cette année si l’on s’en tient à l’ambition annoncée ! – aux jeunes entreprises innovante européennes de bénéficier d’un régime unique en Europe, en termes de fiscalité, de droit des sociétés, de droit du travail, et d’insolvabilité. Stéphane Séjourné a même parlé d’une substitution de ce régime à tous les régimes nationaux, comme le règlement MiCA l’a fait dans le secteur des cryptoactifs fin 2024.
Cela semble si ambitieux compte tenu des concessions que cela représente pour les 27, dont les prérogatives régaliennes sont largement impactées dans ce cadre. Et pourtant ils ont approuvé cette évolution. Une véritable révolution, donc. Reste à voir si l’effort sera général ou, comme je le défendais dans ma chronique d’octobre dernier, s’il se concentrera sur les secteurs d’avenir.
Si je comprends bien, Victor Warhem, vous me dites que l’Europe est en train de changer les choses, et vite ?
Je peine moi-même à y croire mais il semble bel et bien que ce soit le cas ! Certes, l’ambition pourrait – devrait même – être plus grande encore pour permettre au continent de prendre la pleine mesure de son potentiel.
Aux 800 milliards d’euros annuels supplémentaires pour relancer l’économie européenne durablement soutenus par le rapport Draghi pourraient succéder au mieux les soi-disant plus de 400 milliards d’euros annuels de l’Union des marchés de capitaux. Nous pouvons donc faire beaucoup mieux en termes de financement.
De même, on peut se questionner sur la capacité réelle de l’Union européenne à réduire la charge administrative des entreprises. Rien qu’en France, 11000 lois s’associent à 135 000 décrets d’application pour venir complexifier la vie des entreprises. Pas sûr que l’Union européenne ait au final un impact significatif à cet égard.
Enfin, la rapidité de livraison des projets de loi n’accélère pas nécessairement la rapidité d’adoption ni d’application de ces mêmes lois, malgré l’urgence. En moyenne, un texte met toujours 18 mois pour être adopté par les institutions européennes.
Malgré tout, le retour d’une volonté politique unanime pour avancer laisse présager d’un moment positif pour l’Europe.
Quand on constate le choc symétrique négatif que représentent Trump et le décrochage technologique vis-à-vis de la Chine et des Etats-Unis, l’élection probable de Merz au poste de chancelier, la volonté de certains pays du Nord, comme le Danemark, d’approfondir rapidement l’Union européenne, nous sommes peut-être au début d’une vaste période de changement pour nous Européens, qui en ressortiront plus forts et plus unis.
L’heure est ainsi probablement à l’édification d’un modèle de croissance – et peut-être d’un nouveau modèle politique – vraiment européen.
Nous avons désormais une boussole pour nous guider. Gardons le cap !
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.