Elise Bernard, docteur en droit public et enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque lundi sur Euradio les implications concrètes de l'État de droit dans notre actualité et notre quotidien. Ses analyses approfondies, publiées sur la page Europe Info Hebdo, offrent un éclairage précieux sur ce pilier fondamental de l'Union européenne.
L’État de droit est consacré, en Europe, par la liberté de circulation puisque l’on sait que chaque citoyen dispose des mêmes droits et est soumis aux mêmes obligations. Mais si on remet en cause cet espace Schengen, est ce que cela signifie que l’on ne fait plus confiance à l’ordre juridique du voisin ?
C’est vrai que ça peut être pris ainsi. Quand les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Autriche ou le Danemark, introduisent de nouveau les contrôles aux frontières, c’est un aveu. On expose que le voisin est considéré comme moins rigoureux donc il faut contrôler celui qui vient de chez ce voisin.
L’espace Schengen symbolise la réussite de la construction européenne, remettre en cause cet espace de libre circulation des membres d’une même communauté, c’est faire passer l’idée que cette communauté est discutée.
Oui, parce que le contrôle aux frontières, il se fait par principe aux frontières extérieures de l’Union! Alors le retour des frontières d'avant Schengen n’est pas encore à l’ordre du jour, mais les effets économiques et sociaux sont déjà considérables, surtout pour les 2 millions de navetteurs transfrontaliers dans l'UE.
Mais ce retour du contrôle aux frontières, peut-il vraiment pallier les difficultés rencontrées aux frontières extérieures ?
C’est une des promesses des mouvements populistes : reprendre le contrôle de ses frontières, c’est reprendre son destin en main, destin qui serait mis en danger par des gens de l’extérieur en provenance d’ordres juridiques moins sûrs ou moins vertueux, ça dépend. On peut l’expliquer ainsi.
C’est pour cela que jusqu’à il y a quelques jours, l’espace Schengen était encore fermé à la Roumanie et à la Bulgarie qui sont pourtant membres de l’Union depuis 2007 ?
C’est une interprétation peu avouable, certes, entre membres de l’UE, donc on a préféré avancer le prétexte d'arrêter les flux migratoires en provenance de ces pays. Les franchissements irréguliers des frontières extérieures de l'UE ont chuté cette année cela peut expliquer que,de ce côté, on lâche du lest sur les contrôles aux frontières intérieures de l’Union. On restreint à l’Ouest et on ouvre à l’Est, c’est paradoxal par rapport à tout ce que l’on a connu jusqu’à maintenant.
On peut tout expliquer sous le prisme de la sécurité, surtout a posteriori.
Oui, c’est pour cela que je préfère me concentrer sur le fait que c’est le sentiment collectif d’être européen qui est en jeu, dans ce contexte de contrôle ou pas des frontières. De faire partie d’une même communauté.
Cela explique pourquoi le retour d’une frontière fermée sur l’ile d’Irlande avec le Brexit est vite devenu un sujet à traiter très vite.
Exactement, un contrôle, c’est renforcer le sentiment chez l’autre qu’il est étranger. Quand on a le sentiment profond de faire partie d”une même communauté, culturelle, linguistique et beaucoup professionnelle - avec tous ces travailleurs transfrontaliers - se faire considérer comme un étranger à tout cela, ça peut être violent et donner le sentiment que tous ces efforts pour la communauté ont été vains. C’est cela qui m’inquiète aujourd’hui.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.