Elise Bernard, docteur en droit public et enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque lundi sur Euradio les implications concrètes de l'État de droit dans notre actualité et notre quotidien. Ses analyses approfondies, publiées sur la page Europe Info Hebdo, offrent un éclairage précieux sur ce pilier fondamental de l'Union européenne.
L’état de droit s’applique aux réseaux sociaux, par principe, on l’a vu la semaine dernière, mais la résistance des géants de la tech ne met-elle pas en lumière la difficulté pour l’Union européenne d’imposer des sanctions efficaces ?
Si Laurence, mais rien n’est perdu ! Les réseaux sociaux sont d'abord des entreprises et ces dernières vont vouloir influencer toute législation qui leur est défavorable.
Oui mais l’Union européenne pourrait se retrouver affaiblie si elle ne renforce pas ses mécanismes d’application du Digital Services Act en particulier.
C’est admis. Admis par Henna Virkkunen vice-présidente exécutive de la Commission chargée de la tech et des médias.Elle reconnaît les limites du règlement sur les services numériques pour protéger les élections nationales en particulier.
Pourtant, des sanctions sévères sont prévues : en cas de non-conformité, les entreprises risquent des amendes pouvant aller jusqu'à 6 % de leur chiffre d'affaires annuel mondial, et l’accès aux plateformes pourrait être restreint dans l'UE en cas de récidive.
Oui, on comprend pourquoi ces entreprises sont opposées à la construction européenne et ont donc tout intérêt à encourager les partis politiques europhobes. La Commission européenne a intensifié sa surveillance de X, mais cette annonce intervient malheureusement après plusieurs mois de non-conformité manifeste, laissant Elon Musk libre d'agir à sa guise en Europe.
Le mal est fait ! Cette lenteur administrative contraste avec l’agilité des entreprises technologiques qui adaptent rapidement leurs stratégies pour échapper aux contraintes réglementaires.
Oui, d’autant que ces entreprises peuvent parer aux sanctions pécuniaires en se faisant financer par des réseaux de désinformation. Les comptes sont vite faits, les agents influenceurs ennemis financent bien avant que l’Union prononce sa sanction. Tout simplement parce que notre Etat de droit exige une enquête pour prouver la malveillance et faire appliquer la sanction.
Une réponse tardive risque malheureusement de renforcer la perception d’une Europe incapable d’imposer son cadre juridique aux géants du numérique.
Une chose est sûre. Face aux provocations des Big Tech, l’UE doit continuer à poursuivre devant les tribunaux pour manquements à la législation européenne et résister à l’influence politique exercée par l’administration Trump, qui se place clairement du côté de ses entreprises. Il ne faut donc pas se décourager en abandonnant les procédures.
En fait, le crash-test de la capacité de l’UE à se faire respecter a commencé sur les chapeaux de roue avec l’arrivée de Trump à la Maison Blanche !
Exactement. Pour chacun d’entre nous deux solutions se présentent à court terme. Soit ne plus être un client des réseaux sociaux, donc faire augmenter leur manque à gagner et voir si leurs dirigeants préfèrent finalement garder ou faire revenir leur clientèle européenne.
Ce que beaucoup semblent avoir choisi, quitter X ces dernières semaines.
Voilà. L’autre solution, c’est de rester sur ces réseaux mais être particulièrement actifs, prendre ces influenceurs anti UE à rebours et tenter de rétablir un équilibre dans l’espace communicationnel, de façon à faire vivre le débat entre tous les promoteurs d’opinion. Qu’ils soient favorables à une Union forte ou non d’ailleurs, on peut continuer à discuter.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.