Elise Bernard : Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque lundi sur euradio les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.
L’Etat de droit c’est notre quotidien d’Européens, ce qui règlemente nos sociétés mais de plus en plus nettement, il se pose en critère de référence entre Etats membres on dirait?
Il devient clair, Laurence, qu’en ces temps de multipolarité de moins en moins favorables au multilatéralisme, nous entrons dans une nouvelle ère de relations internationales dans laquelle l’Etat de droit occupe une place centrale.
En ces temps troublés il est crucial pour l'UE de renforcer son unité et son alignement sur ses propres principes et valeurs, tout en prévenant les risques de désalignement au sein de ses États membres.
Exactement, les États membres, et en particulier ceux d'Europe centrale, se présentent alignés avec l'Europe occidentale et les États-Unis, mais n'appliquent pas toujours la même rigueur quant à leur interprétation de l’Etat de droit. Ils donnent plutôt l’impression, depuis 2011, de choisir leurs partenaires et valeurs en fonction des situations plutôt que de s'engager pleinement du côté du clan qu’on appellerait occidental.
En Hongrie, le Premier ministre Orban apparaît comme le spécialiste de cette pratique, d’autres comme le slovaque Fico semblent vouloir le suivre. Jeter le chaud et le froid sur les considérations tenant à l’Etat de droit, ce n’est pas inquiétant pour l'avenir de l'Union?
C’est vrai que c’est troublant cette façon de faire ; il bloque des fonds pour l’Ukraine mais admet l’ouverture de négociations, il empêche l’adhésion de la Suède à l’Otan mais achète des avions de combat à la Suède.
Oui et dans le cas de la candidature à l’Union, Fico avait fait entendre que lui aussi s'opposerait à une nouvelle avancée?
Ah oui on retrouve le style Orban, indubitablement! mais est ce que cela veut dire que c’est une évolution à craindre pas forcément. Voyez, le PiS a fini par décourager en Pologne.
Avec le nouveau Premier ministre Donald Tusk, la Pologne tend vers une politique étrangère plus alignée sur les valeurs démocratiques libérales de l'UE.
oui l’Etat de droit bradé convainc de moins en moins à mon avis. surtout quand le premier promoteur d’une vision peu progressiste de l’Etat de droit, c’est Vladimir Poutine.
Orban et Fico n’iront jamais aussi loin que le modèle de société défendu par Poutine.
Je ne pense pas, parce que de toute façon ils vivront toujours mieux en appartenant au club des occidentaux, aussi illibéraux soient-ils. la sortie de l’Union européenne non plus ça ne les intéresse pas.
on est donc bien sur une stratégie de discours plus que de défense acharnée d’une certaine vision de l’Europe chrétienne et traditionnelle.
oui, c’est un moyen de pression. mais je ne suis pas sûre que cela fonctionne longtemps. Les électeurs polonais ont peut être aussi eu peur de se retrouver isolés sans alliés européens, en ces temps de guerre à leur porte. Plus la guerre en Ukraine dure, plus c’est difficile de se montrer favorable à une vision - même en partie - poutinienne de nos sociétés.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.