À propos d’Elise Bernard : Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque semaine les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.
L’État de droit, c’est assurer à toute personne l’application de la Convention européenne des droits de l’Homme sur le territoire de l’État qui a signé cette Convention, on l’a vu à plusieurs reprises, mais que se passe-t-il si un État viole les droits fondamentaux sur un autre territoire que le sien ?
Alors c’est vrai que si l’article 1 fixe des limites au domaine de la Convention, la notion de «juridiction » ne se circonscrit pas au territoire national des États signataires. En effet, l’État peut engager sa responsabilité lorsque, par suite d’une action militaire, il exerce le contrôle effectif sur une zone située en dehors de son territoire national.
C’est ce qui se passe avec la Russie actuellement ?
Alors, à l’heure actuelle, c’est difficile d’y répondre, car la Russie a été exclue du Conseil de l’Europe, cette sortie est effective depuis septembre 2022.
Mais il y a eu d’autres précédents, avec la Crimée ?
Oui, l’objectif de cette Convention, c’est de s’appliquer au maximum. Assurer les chances de protection juridictionnelle. En 2014, le gouvernement ukrainien avait d’abord introduit contre la Fédération de Russie une requête interétatique, en vertu de l’article 33 de la CEDH. En même temps que cette requête, il est demandé à la Cour de prendre des mesures provisoires, c'est-à-dire concrètement d'enjoindre immédiatement les autorités russes de s'abstenir de toute intervention susceptible de constituer des menaces pour la vie et la santé des populations civiles.
Je ne suis pas sûre que cela ait fonctionné. Qu’est ce qui change avec ce que l’on connaît actuellement ?
C’est vrai, la Cour EDH a pu prendre une mesure conservatoire en demandant – tant à la Russie qu’à l’Ukraine - de ne prendre aucune mesure susceptible de porter atteinte au droit à la vie et à la santé des populations civiles. On l’a déjà vu, la Cour est impartiale, elle ne prend pas position politiquement parlant. La cour de Strasbourg avait donc refusé d'entrer dans le débat sur la question de savoir qui détient l'autorité en Crimée et estime donc que les risques d'atteintes au droit à la vie et à la santé des personnes pouvaient provenir aussi bien des autorités ukrainiennes que russes. Comme à ce moment-là, la Russie étant aussi membre du Conseil de l’Europe, cette solution permettait de se prononcer sur l’application de la CEDH dans cette région.
Ce n’est pas très effectif comme protection des droits fondamentaux malheureusement.
La justice ne peut pas tout. Les arrêts de la Cour EDH ne permettent ni d’annuler, ni de modifier automatiquement les décisions prises par les juridictions nationales. L’influence est considérable, mais ce n’est pas une justice contraignante, tout simplement parce qu’elle ne sanctionne pas.
Voilà, là se trouve la différence majeure entre Cour de Strasbourg et Cour de Luxembourg !
Exactement ! Contrairement à la Cour EDH, la cour de justice de l’UE de Luxembourg prononce des sanctions, financières en particulier, pour contraindre les États membre à se plier au droit.
Je précise que vous nous proposez un rendez vous le 3 février 2023 au sénat (Palais du Luxembourg, 15 Rue de Vaugirard à Paris) pour une journée d'étude axée sur notre Culture stratégique européenne : Guerre économique / Régulation / Éducation.
Pour y participer, vous pouvez vous inscrire juste ici !
Entretien réalisé par Cécile Dauguet.