Une semaine sur deux sur euradio, Tiphaine Chevallier, directrice de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), cherche à effectuer un rappel à la terre qui se trouve sous nos pieds, sous le bitume, dans l'optique de renouer les liens forts que nous entretenions avec cette dernière.
Pour commencer l’année, vous m’avez dit vouloir parler de Charles Darwin pendant 2 chroniques ? C’est bien ça ?
Oui, un peu d’histoire pour commencer l’année. Je vais vous parler de Darwin tout en continuant de vous parler des sols. Le célèbre Charles Darwin, père de la théorie de l’évolution, est aussi le précurseur de la pédologie, ou science du sol. Il est aussi celui qui a fait du ver de terre l’ami de l’humanité.
Rien que ça !
Rien que ça, mais on en parlera surtout la semaine prochaine… quoique… L’histoire que je vais vous raconter, aujourd’hui c’est Christian Feller et Eric Blanchart, comme moi pédologues et directeurs de recherche à l’IRD qui me l’ont raconté…
Nous sommes en 1837, Darwin a 28 ans. Il vient de rentrer de son voyage autour du monde sur le bateau scientifique le « Beagle ». Ce voyage sera déterminant pour toute son œuvre scientifique, dont la future Théorie de l’évolution.
Il est déjà très connu par les grands naturalistes suite aux fantastiques collections d’organismes vivants, fossiles ou roches qu’il a envoyées en Angleterre au cours de son voyage. On lui demande donc immédiatement de faire des conférences, en particulier à la Société Géologique de Londres.
Et que fait Darwin en 1837 pour sa troisième communication : un discours sur le ver de terre anglais !
Ils ont du être autant surpris que déçus !
Les sociétaires de la Société Géologique de Londres ne s’attendaient en effet pas à un discours sur ce vulgaire animal bien de chez eux.
Pourquoi ce discours alors ?
Il venait de se rendre compte de l’énorme rôle de cet animal dans notre environnement. Rôle qui le passionna d’ailleurs toute sa vie de 1837 donc à 1881, où quelques mois avant sa mort en 1882, il publie son dernier ouvrage. Ouvrage entièrement dédié aux vers de terre. Mais revenons à fin 1836.
Charles Darwin rentre de voyage et rends visite à son oncle préféré Josiah Wedgwood, dit Josiah II. En se promenant dans un champ de la propriété de son oncle, celui-ci lui fait remarquer qu’il y a 15 ans, le sol était cultivé et qu’à sa surface il restait des débris de briques et des cendres. Depuis, il n’a plus été cultivé, le sol est sous une prairie et surtout on ne voit plus ni cendres ni briques. Disparus !
Où sont-ils ?
C’est exactement la question qu’ils ont dû se poser. Alors ils creusent une fosse dans le sol et observent…
Ils retrouvent les briques ?
Oui, ils retrouvent les morceaux de briques enfouis à 13 cm de profondeur et se demandent bien comment ils ont pu se retrouver là si rapidement. Finalement en 15 ans seulement.
Et si c’était les vers de terre ? Qui, par leur activité de remonter de la terre de la profondeur à la surface du sol auraient recouvert de terre les éléments alors en surface donnant l’impression que ceux-ci se sont enfoncés tout seuls.
C’est la question que pose Charles Darwin aux sociétaires de la Société Géologique de Londres en 1837. Et il illustre son discours par un dessin. Ce dessin scientifique est le premier profil de sol exposé puis publié en 1838 dans un article scientifique. Vous vous souvenez de ce qu’est un profil de sol Laurence ?
Moui à peu près…
Un profil de sol est la succession d’horizons, ou de couche de terre, d’aspects et ou de couleurs différents. Le dessin de Darwin représente exactement ça, un profil de sol, celui observé par lui et son oncle sous la prairie, avec une succession d’horizons dont l’un est l’accumulation des morceaux de briques qui étaient à la surface, 15 ans auparavant.
Pourquoi avez-vous l’air si impressionné par ce dessin ?
Parce qu’il est publié 45 ans avant la thèse du géologue russe Vladimir Dokuchaev sur la description et la distribution des tchernozems en 1883. Thèse considérée comme la naissance de notre discipline, la pédologie.
Darwin savait regarder un sol et constater que celui-ci est organisé en horizons.
Il montre aussi que parmi les facteurs responsables de la formation des sols, l’activité de la faune des sols est essentielle. Elle participe à la fois à l’altération des minéraux de la roche, à l’organisation des horizons voire à la formation de certains comme l’horizon de surface nommé horizon humifère ou terre végétale. Mais que Darwin avait proposé appeler « terre animale ».
C’est effectivement assez précurseur et peu connu
Oui face à la Théorie de l’Evolution ce sujet est passé un peu inaperçu. Pourtant Darwin a étudié avec grands détails l’action des vers de terre sur les sols jusqu’à la fin de sa vie. Son dernier ouvrage en 1881 s’intitule La formation de la terre végétale par l’action des vers de terre, avec des réflexions sur leurs habitudes. Avec cet ouvrage, le statut du vers de terre change : il deviendra un ami de l’humanité, ce qui sera le thème de notre prochaine chronique co écrite avec Christian Feller.
Schéma montrant une coupe verticale du sol creusée à environ 5 in. (∼12,7 cm) de profondeur, réalisée en octobre 1837 par Charles Darwin, dans un champ près de Maer Hall (Josiah Wedgwood, la maison de l'oncle de Darwin à Maer, Staffordshire) qui avait été drainé, labouré, hersé et recouvert de marne et de cendres brûlées 15 ans plus tôt (1822), puis mis en prairie.
A : cendres ; B : marne calcinée ; C : galets de quartz.
Dessin tiré de Darwin (1838). (Trad. de l’anglais par C. Feller). Publié par Darwin en 1838 et 1840 :
Darwin, C., 1838. On the formation of mould. Proc. Geol. Soc. Lond. 2, 274–576.
Darwin C. (1840). On the formation of mould. Trans. Geol. Soc. London, II, Ser., 5 (III), pp. 505-509.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.