Une semaine sur deux sur euradio, Tiphaine Chevallier, directrice de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), cherche à effectuer un rappel à la terre qui se trouve sous nos pieds, sous le bitume, dans l'optique de renouer les liens forts que nous entretenions avec cette dernière.
Aujourd’hui vous vouliez nous parler de la terre des chantiers.
Oui je me suis demandée ce que pouvait bien devenir la terre excavée des chantiers. Vous avez certainement déjà dû voir des camions, chargés de terre, quitter des chantiers près de chez vous. Que peut bien devenir toute cette terre ? Parce que vous savez-vous quelle quantité ça représente ?
Aucune idée, je vois bien les tas de terre excavée des chantiers et les camions, mais c’est vrai que je n’ai pas d’idée du volume.
C’est gigantesque ! 200 Millions de tonnes sont excavées chaque année en France. Cela représente environ 70% des déchets du secteur du BTP (bâtiment et travaux publics). C’est LE déchet incontournable de la construction. Ce secteur est celui qui génère la plus grosse quantité de déchets, loin devant l’industrie ou l’agriculture.
Traditionnellement, les matériaux inutiles au monde de la construction sont enfouis dans des carrières. Ces sites réglementaires ont des capacités d’accueil limitées. Les entreprises ont donc à payer des redevances de mise en décharge qui augmentent régulièrement. Au fur et à mesure du remplissage des sites, ces décharges agréées s’ouvrent de plus en plus loin des villes génératrices de terres excavées de chantier. Par conséquent, les camions parcourent plusieurs dizaines de kilomètres pour y apporter la terre. Le secteur du BTP paye pour jeter les terres et paye de plus en plus cher. Sans compter l’impact carbone généré par le transport et la perte de ces sols.
Avez-vous d’autres solutions que la mise en décharge ?
Oui, c’est ce que j’ai appris auprès de Thomas Haden avec qui j’ai écrit cette chronique. Thomas est ingénieur agronome dans une jeune entreprise nantaise, Terra Innova, créée il y a tout juste 5 ans. Thomas m’a donc expliqué que d’autres solutions que la mise en décharge se sont développées.
Les terres excavées d’un chantier peuvent par exemple être réemployées sur un chantier voisin qui en a besoin. Les entreprises de travaux publics, avec bon sens et pour réaliser des économies, ont depuis toujours, rencontrer les agriculteurs autour du chantier pour remblayer des parcelles agricoles. Cette pratique courante nécessite cependant un encadrement réglementaire très dense lié aux code de l’environnement, de l’urbanisme ou encore du code rural. La réglementation au sujet de la gestion des terres excavées est complexe, évolutive et souvent mal maitrisée par la profession.
Bien sûr, on ne peut sans doute pas remblayer n’importe où
Ni avec n’importe quoi. La « Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte » de 2015 encourage la valorisation des terres excavées au détriment de leur élimination en décharge. L’entreprise qui apporte une terre sur une parcelle agricole doit pouvoir justifier de la valorisation de cet apport. En effet, les mauvaises pratiques parfois observées (remblais de zones humides, apports de gravats, de terres polluées, des parcelles devenues incultes après un apport de terres) nuisent à l’acceptabilité de ces pratiques.
Pourtant ces terres doivent pouvoir rendre service ? Quand on sait le temps que ça prend de former un sol !
Bien sûr. Surtout sur les parcelles où l’intensification de l’agriculture a pu conduire à de fortes pertes de fertilité voire à de fortes pertes de sol par érosion. L’érosion est la principale menace qui pèse sur nos sols. Au niveau européen, on parle de près d’1 milliard de tonnes de terres emportés chaque année par l’érosion. Le ministère de l’environnement annonce pour la France des chiffres très variables avec une moyenne de l’ordre de 1,5 t de terre érodée / ha / an.
Peut-on alors se servir des terres de chantier pour lutter contre l’érosion ?
Effectivement c’est l’idée de ces nouveaux métiers, à l’interface du BTP, de la pédologie et de l’agriculture. L’entreprise Terra Innova dans laquelle travaille Thomas accompagne techniquement et réglementairement des acteurs de la construction pour valoriser ces terres considérées inutiles pour le BTP, en les rendant utiles pour l’agriculture ou l’aménagement d’espace. Il transforme la problématique de l’un en solution pour l’autre…
La terre, en quelque sorte générée par les chantiers du BTP, est alors employée pour
• Améliorer le potentiel agronomique de sols agricoles ou favoriser la mise en culture de parcelle en friche
Mais aussi pour
• Créer des haies sur talus. Haies qui sont à la fois sources de biodiversité, puits de carbone et obstacles naturels à l’écoulement des eaux.
Et c’est une seconde longue vie pour ces terres de chantier
Exactement la valorisation des terres excavées apparait alors comme une solution pour l’agriculture et notre environnement. Le sol n’est pas une ressource renouvelable. Tout terrien conscient de la valeur de nos sols, doit protéger, valoriser, et en tout cas le moins possible jeter nos sols en décharge !
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.