Une semaine sur deux sur euradio, Tiphaine Chevallier, directrice de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) , cherche à effectuer un rappel à la terre qui se trouve sous nos pieds, sous le bitume, dans l'optique de renouer les liens forts que nous entretenions avec cette dernière.
Tiphaine Chevallier, vous allez nous parler de la COP 27 ?
J’aurai bien voulu en parler, mais cette COP 27 de la convention climat qui vient de se terminer ce weekend, a peu avancé sur les questions d’agriculture et a peu parlé des sols. Pourtant, organisée par l’Egypte, les questions agricoles et alimentaires devaient occuper une place centrale. La sécurité alimentaire et les agricultures du Sud sont très vulnérables face aux dérèglements du climat.
Cette année, les débats se sont concentrées sur l’adaptation au changement climatique et aux moyens financiers à y consacrer, combien et qui payent pour cette adaptation. Il y a eu certes un plus d’attention sur les systèmes alimentaires mais pas de décisions concrètes en matière de financement pour améliorer la résilience de la multitude des petits producteurs agricoles. Peu de place pour les sols dans les discussions alors que les sols et l’agriculture vont devoir s’adapter au changement climatique mais font également partie de la solution pour limiter ce changement.
De la solution vous êtes sûr ? Que l’agriculture soit à la fois victime et responsable des hausses de la température j’en conviens, mais une solution ?
Au cœur des discussions sur le changement climatique, il y a le cycle du carbone. Qui en émet, quels systèmes en capte ? quels sont les réservoirs de carbone ? Laurence savez-vous où sont les plus gros réservoirs?
Dans les océans surtout, dans l’atmosphère et il y a en trop d’après ce que j’ai compris. Dans les arbres aussi ?
Oui allez encore un petit effort, où d’autres ?
J’imagine que vous allez me dire dans les sols…
Bien sûr dans les sols ! OK il y en a beaucoup dans les océans, c’est le plus gros réservoir de carbone de la planète, mais dans les écosystèmes terrestres les plus gros réservoirs sont les sols. 2 fois plus de carbone que dans l’atmosphère, trois fois plus que dans la végétation.
Les flux annuels de carbone entre les sols et l’atmosphère sont légèrement négatifs, c’est-à-dire qu’il y a globalement plus de CO2 qui entre dans les sols qu’il n’en sort.
Vous voulez dire qu’il y a absorption de CO2 par les sols comme pour les océans ?
Oui et non… oui le flux annuel est du même ordre de grandeur que celui des océans 3 milliard de tonnes par an (contre 9 milliards de tonne émis par les activités humaines) mais non car les processus sont différents. Les sols ne captent pas directement le CO2. Ce sont les plantes via la photosynthèse. Ce CO2 est transformé en biomasse. A la mort des plantes, cette biomasse se décompose et s’intègre à la matrice minérale du sol.
C’est de l’humus ou de la matière organique du sol. Cette matière est composée à 50 % de carbone. Elle est en partie stockée dans les sols et peut y rester longtemps plusieurs dizaines voire des milliers d’années. Globalement, le carbone des sols est donc de la MO, essentiellement morte plus ou moins décomposée et plus ou moins reconnaissable. Je dis globalement car le carbone peut aussi être du calcaire et donc du carbone inorganique dans certains sols.
Je suis un peu perdue Tiphaine, quel rapport avec le climat ? C’est peut-être normal que les discussions ont peu concernées les sols à la COP 27.
J’y viens, j’y viens… Cette matière organique, est au cœur du fonctionnement des sols, c’est une source d’énergie essentielle pour la vie du sol. Cette matière organique, ce carbone des sols, soutient leur fertilité. Alors l’idée simple avec les problèmes climatiques est de se dire : il n’y a qu’à augmenter les stocks de carbone des sols, cela fera moins de carbone dans l’atmosphère : + de végétation sur nos sols + de photosynthèse + de CO2 capté par les plantes, et à assez court terme + de C dans les sols et + de MO dans les sols
Et cerise sur le gâteau, une meilleure fertilité des sols !
Voilà vous avez tout compris. C’est l’idée défendue par l’initiative 4 p 1000, des sols pour la sécurité alimentaire et le climat. Les sols, selon leurs usages et les pratiques agricoles, ont un rôle à jouer pour limiter le changement climatique et ses effets. Cette idée est aussi discuté par le groupe de travail de la convention climat dit de Koronivia. Parce qu’il est nécessaire d’utiliser le sujet climatique pour discuter mais surtout investir, dans la résilience et l’efficacité du système alimentaire mondial, c’est-à-dire de nos agricultures et de nos sols.
Mais alors si c’est si important, pourquoi les négociations sur ce sujet patinent…
Parce que ce n’est pas si simple, les grands flux mondiaux que je viens de décrire globalement se déclinent différemment et se mesurent difficilement localement.
Et les solutions pour maintenir voire augmenter les stocks de C des sols doivent prendre en compte les différents types de sol, d’accès aux ressources en eau, aux engrais, les droits fonciers, les habitudes et savoirs locaux en matière de pratiques agricoles, et puis quand on dit augmenter la production végétale, d’accord, mais encore faut-il que cela pousse… sur des sols dégradés, ça se complique…
Face à cette complexité, la facilité serait de se tourner vers des solutions technologiques, hors-sol….
Ça serait plus simple, mais hors-sol….
Non pas hors sol ! Il faut encourager et investir dans toutes les agricultures dont la gestion des matières organiques est au centre des pratiques agricoles. C’est à dire encourager leur recyclage, la diversité des systèmes de cultures, la place de l’arbre et de l’élevage dans ces systèmes, s’appuyer sur les savoirs locaux.
Le recyclage est d’ailleurs un des principes de l’agroécologie. Et il existe de nombreuses possibilités d’innovations agro écologiques autour de ce recyclage des matières organiques. Edith vous en parlera sans doute.
Il est donc indispensable que l’agriculture et les sols aient une place, et une bonne place, dans les négociations internationales sur la lutte contre le changement climatique. Les systèmes alimentaires reçoivent aujourd’hui moins de 5% des financements consacrés au climat. La COP 28 aura lieu à Dubaï, en plein désert… Le sujet des sols va avoir du mal à s’imposer, pourtant les négociateurs sur le climat doivent eux aussi redevenir terriens pour qu’encourager les investissements dans les systèmes alimentaires ne soient pas hors sol. La qualité de nos sols mérite mieux que des investissements secondaires. Les sols méritent d’être admirer, protéger, et fêter ! Rendez-vous dans deux semaines pour ensemble fêter les sols !
Entretien réalisé par Laurence Aubron
Le sujet de la question des financements climatiques en agriculture, c'est le sujet de la BD « une question à un million » de Caroline Gaujour, Isabelle Bernoux, Narindra Rakotovao et Tiphaine Chevallier