Dans ces chroniques, euradio vous propose de creuser et d'observer tout ce que les sols ont à nous offrir. Avec Tiphaine Chevallier, chercheuse à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
Ces jours-ci, nos conversations parlent beaucoup de température et c’est aussi le sujet de votre chronique d’aujourd’hui
Oui Laurent, l’effet de la température sur le fonctionnement des sols est une question étudiée depuis longtemps par les scientifiques. Ce peut être l’effet du gel et du dégel sur l’altération des roches et la pédogénèse mais depuis une vingtaine d’année les études se concentrent sur l’effet de la température sur l’activité biologiques des sols.
Ah oui, le dégel des sols gelés des hautes latitudes et la remise en circulation de bactéries et ou de virus jusqu’ici inconnu.
Oui c’est aussi un sujet intéressant, et surtout inquiétant, mais je voulais aujourd’hui parler de l’activité biologique des sols ordinaires, ceux de nos latitudes. L’activité des organismes du sol, comme les nématodes dont on a parlé précédemment, ou les microorganismes, bactéries et champignons microscopiques.
Et ils sont sensibles à la température ?
Oui et à l’humidité, parce que la plupart vivent dans l’eau du sol où ils trouvent leur nourriture. Quand tout est gelé, tout est figé et attends de meilleures conditions pour reprendre vigueur. Au-dessus de 0 degré, le métabolisme des microorganismes augmente avec la température, la solubilisation des matières organiques consommée par ces organismes est favorisée, un peu comme l’infusion des feuilles de thé est meilleure dans une eau plus chaude. Ainsi, plus la température augmente et plus ce petit monde souterrain est actif, au moins jusqu’à un certain point.
Comment ces phénomènes sont-ils étudiés ? Vous chauffez des sols ?
Cela dépend des expérimentations mais c’est bien l’idée. Il existe énormément d’expérimentation scientifique au laboratoire dans lesquelles quelques grammes de sol sont installés dans des étuves à différentes températures. Il existe aussi des manipulations de la température et de l’humidité sur le terrain, avec des résistances électriques ou des mini serres pour chauffer le sol, des gouttières ou des auvents pour intercepter les eaux de pluies. Des transplantations de blocs de sol de quelques dm3 d’un endroit froid à un endroit en moyenne plus chaud existent aussi.
Les variations de température de quelques degrés sont bien plus faibles dans ces expérimentations de terrain que dans les expérimentations de laboratoire où il suffit de monter le thermostat de l’étuve pour modifier la température, mais elles ont le gros avantage de moins perturber le sol avant l’expérimentation. C’est bien l’ensemble des communautés avec la végétation en place qui est soumis à l’augmentation de température et pas seulement quelques grammes de sol dans un bocal.
Dans tous les cas l’objectifs de ces manip est de comprendre comment dans un monde à quelques degrés de plus ou avec des variations de température plus fréquentes, cela va se passer ?
Comment ça va se passer ? que voulez-vous dire ? qu’est ce qui est observé dans ces manip ?
Les principales questions de recherche sont grossièrement « qui est là, qui résiste aux changements ? » et surtout « quelles sont les modifications de comportement ?» Une mesure simple est la mesure des émissions de CO2 du sol vers l’atmosphère. Plus ils sont actifs et plus ils consomment de la matière organique et respirent en rejetant du CO2 dans l’atmosphère.
Un peu comme nous ?
C’est ça, un peu comme nous. Ainsi quand on enferme du sol dans un bocal, l’atmosphère du bocal s’enrichit progressivement en CO2. Cet enrichissement donne une idée de l’activité biologique du sol. Si on augmente la température, la respiration des organismes augmentent. Globalement elle double pour une augmentation de 10 °C. C’est particulièrement visible dans les premiers centimètres de sol, où l’activité biologique est concentrée et où les variations de température sont plus fortes. En forêt par exemple les premiers centimètres de sol ressemblent à un brownie au chocolat.
Oui et ?
Eh bien au Nord des Etats Unis, une expérience de chauffage des sols d’une vingtaine d’année à plus de 5°C montre que l’épaisseur du brownie a franchement diminué par rapport au témoin. Le chauffage a effectivement augmenté l’activité biologique. Une plus forte activité biologique s’accompagne de plus fort rejets en CO2 du sol vers l’atmosphère. Cet effet de la température est à prendre en compte dans les modèles climatiques mais il reste encore beaucoup d’inconnu. Comme on l’a dit tout à l’heure en plus de la température, l’humidité du sol joue également.
Il faudrait donc croiser les 2 paramètres température et humidité dans vos expérimentations.
Oui vous avez raison et aussi l’usage, le type de sols… Vous imaginez le plan d’expérience, enfin les plans d’expérience… Je vous laisse réfléchir aux hypothèses de travail que vous souhaiteriez tester et on reparlera sans doute car ce sujet peut alimenter bien des conversations !