Une semaine sur deux sur euradio, Tiphaine Chevallier, directrice de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), cherche à effectuer un rappel à la terre qui se trouve sous nos pieds, sous le bitume, dans l'optique de renouer les liens forts que nous entretenions avec cette dernière.
De quoi parlons-nous aujourd’hui ?
Cette chronique a été écrite avec une collègue, Lydie Lardy, comme moi pédologue et directrice de recherche à l’IRD et nous souhaitions vous parler de couleurs. La couleur des sols. La représentation que l’on se fait de cette couleur. Pourquoi et comment la décrire.
Un sol c’est globalement marron.
Oui globalement… mais revenons au 17ième siècle à Isaac Newton. Très célèbre pour sa théorie de la gravitation universelle, vous savez l’histoire de la pomme … il a aussi révolutionné la compréhension du phénomène physique de la couleur en décomposant la lumière blanche par un prisme.
Newton a introduit le concept des couleurs primaires, bleu, jaune et rouge, etdes mélanges de couleurs. Newton a ainsi eu un impact significatif sur la façon dont les peintres ont pensé les couleurs et ont utilisé des mélanges de pigments pour créer différentes teintes et nuances. Les roues chromatiques puis des nuanciers ont été élaborés pour aider au choix et à la réalisation de ces nuances.
Très intéressant mais quel est le rapport avec les sols? Vous voulez nous aider à choisir une bonne nuance pour peindre des sols ?
Entre autre… vous pourriez les peindre en rouge, comme Paul Gauguin qui après avoir observé des sols lors de ces voyages sous les tropiques a souvent utilisé un beau rouge pour représenter le sol. Qu’en pensez-vous ?
Rouge ? Est-ce bien réaliste ?
Les couleurs révèlent la présence de certains minéraux dans les sols. Notamment autour de la Méditerranée ou sous les tropiques, les sols contiennent des oxydes par exemple de fer. L’hématite colore le sol en rouge, la goethite en jaune ocre. Les oxydes de manganèse eux sont plutôt de couleur violette. Les sols ont alors des teintes plus ou moins rouges, jaunes, rouille, brun selon leur composition.
Les composés du sol « colorant » témoignent de l’évolution du sol qui peut s’étirer sur des centaines voire des milliers d’années. Ils résultent de processus géochimiques d’altération de la roche mère mais aussi de processus plus ou moins récent liés aux conditions dans lesquelles le sol évolue.
Dis-moi de quelle couleur tu es et je te dirais qui tu es et ce que tu as vécu.
Oui c’est un peu ça. La couleur noire est associée aux matières organiques. Les couleurs gris-bleu, gris vert caractérisent un sol hydromorphe marqué par des engorgements d’eau +/- permanents. S’il y a des alternances de sécheresse et d’hydromorphie, souvent en profondeur au niveau de la nappe phréatique, les oxydes subiront alternativement des processus d'oxydation et de réduction laissant des traces à la fois gris-bleus et ocres-rouge.
Les couleurs pâles traduisent des phénomènes d’appauvrissement du sol en certains éléments colorants comme le fer ou la matière organique.
C’est ce que l’on observe souvent sur les coupes de sol découvertes lors des chantiers, une couleur plus pâle dans la profondeur du sol.
Souvent moins foncé car il y a moins de matière organique en profondeur. A l’extrême, certains sols acides formés sous climat très humides, appelés « podzols », ont une couche de sol, ou un horizon de sol si vous souvenez de ma première chronique, complètement blanc. Très appauvri en éléments car complètement lessivé (horizon elluvial). La couche en dessous accumule elle les éléments et sera au contraire très foncée (horizon dit illuvial). Dans d’autres sols, la présence de calcaires ou de sels présenteront des zones blanchâtres.
Bref, caractériser la couleur du sol permet donc d’avoir des informations sur le contexte de sa formation, son évolution et ses propriétés.
Comment fait-on pour évaluer la couleur d’un sol ? ça doit être compliqué, non ?
Décrire la couleur ou les couleurs des profils de sol, c’est-à-dire avec la profondeur, est en fait assez simple grâce à Newton et sa roue chromatique. Comme les artistes peintres ou le bricoleur pour repeindre sa cuisine, les pédologues utilisent un nuancier de couleur. Ce nuancier est le code Munsell, du nom de son inventeur, Albert Henry Munsell, peintre et professeur d’art américain de la fin du 19ième.
Ce nuancier de couleur code la teinte par des lettres et la saturation et la clarté par des chiffres. Le code Munsell est un livret où chaque page correspond à une teinte, avec sur cette page une palette de pastilles de couleur au ton plus moins saturé et lumineux. On rapproche le nuancier de l’horizon de sol à caractériser et on feuillette jusqu’à trouver la bonne page puis la bonne pastille.
Exactement comme pour trouver la bonne couleur pour repeindre chez soi !
Exactement. Le code de la pastille sera par exemple 10YR 4/2 pour un sol brun sombre relativement bien fourni en matière organique sans doute de surface, ou 5R 4/6 pour un sol rouge tropical riche en oxyde de fer.
Certains artistes, les plus terriens sans doute, s’appuient sur les couleurs de la nature et des sols pour leur art, les pédologues aussi. La couleur permet d’apprécier un sol, de le classer, et d’en comprendre en partie l’histoire.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.