Comme chaque semaine, nous retrouvons Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales chez Think Tank Synopia, le laboratoire des gouvernances, pour sa carte blanche de la Présidence française de l'Union européenne.
Mercredi 1er juin, la Commission et la Banque centrale européenne ont remis chacune un avis favorable sur l’adoption de la monnaie commune par la Croatie. Est-ce une bonne nouvelle pour la zone euro ?
Oui. Déjà parce que cela montre que la monnaie unique est toujours attractive pour les États européens. En rejoignant la zone euro en janvier 2023, la Croatie deviendra le 20ème pays membre. Ensuite, il n’en restera plus que 7 autres à convaincre. Donc la convergence des États membres de l’UE en termes monétaires s’accroit de plus en plus. C’est important parce qu’en rejoignant l’Euro, la Croatie intègre une gouvernance plus solidaire, plus intégrée encore que dans le simple cadre de l’Union européenne.
Comment expliquer que cette intégration des pays européens dans la zone euro soit si progressive et qu’elle ne concerne pas encore tous les États membres de l’UE ?
L’intégration monétaire est un long processus. Il faut que les États qui sont candidats à l’adoption de l’Euro remplissent certains critères. Et ces critères sont encore différents de ceux qu’il est nécessaire de satisfaire pour rejoindre l’Union européenne : par exemple, le niveau de dette et de déficit publics, le taux d’inflation, la santé financière des banques, le sérieux des données statistiques, la lutte contre le blanchiment d’argent, etc. C’est pour ça que le processus est relativement long. Pour la Croatie, il aura pris 10 ans puisqu’elle y travaille depuis son adhésion à l’UE, en 2013. Et entre temps il y a eu plusieurs étapes intermédiaires, comme l’entrée de la Croatie dans le Mécanisme de change européen, qui est un peu considéré comme l’antichambre de l’accession à l’Euro. La Bulgarie est dans le même processus d’adhésion que la Croatie mais elle rencontre un peu plus de difficulté et donc elle a reporté à 2024 son adhésion à la zone euro.
À terme, on peut imaginer que tous les États membres de l’UE adopteront la monnaie unique ?
Oui c’est un objectif en effet. Aujourd’hui, 19 pays sont dans la zone euro, ce qui représente presque 342 millions d’habitants. Avec l’entrée de la Croatie, c’est 4 millions de personnes supplémentaires qui seront concernées. En principe, tous les États membres de l'UE sont tenus d'adopter l'euro dès qu'ils remplissent les critères de convergence. La seule exception, c’est le Danemark, qui dispose d'une "clause d'exemption" dans les traités de l'UE : le Danemark est donc dispensé de l'obligation d'adopter l'euro, sauf s’il change d’avis. Le Royaume-Uni bénéficiait également d’une exemption d’adhésion.
Aujourd’hui, l’Euro est très critiqué, notamment en France même si presque plus aucun parti politique ne propose de revenir au Franc. L’adhésion de la Croatie peut-elle redonner du souffle à la zone Euro ?
En effet, depuis l’introduction de l’Euro il y a 20 ans, on entend beaucoup de critiques qui dénoncent notamment l’augmentation des prix dû au passage à la monnaie unique, et donc la baisse du pouvoir d’achat. Mais paradoxalement, il y a un attachement très fort des citoyens européens à la monnaie unique. Selon un sondage réalisé par la BCE, l'Euro est considéré comme « une bonne chose » par 78 % d’Européens en 2021.
Aujourd’hui, on ne peut pas rationnellement imaginer que quitter la zone Euro pourrait constituer un quelconque avantage et que nos monnaies nationales seraient suffisamment fortes pour concurrencer le Dollar américain, la Livre Sterling, ou le Yuan chinois. Mais, ça ne signifie pas que tout est parfait et qu’il ne faut rien changer. Au contraire. On ne doit pas ignorer les inquiétudes d’une grande partie des citoyens européens concernant l’augmentation des prix, l’inflation ou l’écart du taux de change réel qui, pour des raisons que seuls des économistes peuvent comprendre, avantage considérablement l’Allemagne. Il ne faut pas non plus ignorer la colère de tous ceux qui ont le sentiment que l’Euro a diminué leur pouvoir d’achat, même si cela s’explique par l’association de plusieurs facteurs et pas uniquement par le passage à la monnaie unique.
Que manque-t-il d’après vous à la zone euro pour qu’elle soit encore plus attractive et surtout qu’elle réponde aux attentes des citoyens ?
Il manque une vraie gouvernance politique, c’est-à-dire une stratégie économique, budgétaire et monétaire commune. Le modèle économique et social européen s’est construit sur l’idée que l’intégration politique et économique des États au sein d’un grand marché régulé permettrait, dans la logique de l’engrenage, le progrès social et l’amélioration des niveaux de vie des européens. Toutefois, les protections et les garanties sociales, ainsi que la compétence fiscale, sont restées du ressort exclusif des États, puisqu’ils étaient considérés comme mieux à même de protéger leurs acquis sociaux. Là, le principe de subsidiarité a pris toute sa place dans cette répartition des compétences : l’économique pour l’échelon européen de gouvernance, et le social pour l’échelon national. Mais dans un système cohérent et dans un objectif d’efficacité, il aurait fallu que l’échelon de gouvernance qui dispose du pouvoir monétaire et économique, soit également doté des compétences sociale et fiscale (pour pouvoir compenser ou rééquilibrer les inégalités induites par le marché). A minima, il faudrait donc que les États qui sont membres de la Zone Euro, dont les économies sont d’ores-et-déjà les plus intégrées, s’accordent sur des standards sociaux et fiscaux et définissent une vraie stratégie économique, budgétaire et monétaire commune.
Joséphine Staron au micro de Laurence Aubron