L'édito européen de Quentin Dickinson

La Pagaille... et la Percée ?

© Wikimedia Commons - Adam Schultz from The White House (Le président américain Joe Biden visite l'usine taïwanaise de semi-conducteurs TSMC à Phoenix, le mardi 6 décembre 2022.) La Pagaille... et la Percée ?
© Wikimedia Commons - Adam Schultz from The White House (Le président américain Joe Biden visite l'usine taïwanaise de semi-conducteurs TSMC à Phoenix, le mardi 6 décembre 2022.)

Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.

Cette semaine, QD, vous entendez nous emmener de l’autre côté de la planète…

La géopolitique, telle qu’elle se reflète dans les médias, peine à accorder son attention à l’évolution de plusieurs situations d’actualité, géographiquement éloignées, quoique d’une égale et majeure importance, en particulier pour nous, en Europe.

Il en va ainsi des tensions croissantes entre la République populaire de Chine – le continent – et la République de Chine – l’île de Formose, en chinois : Taïwan. Or, cet affrontement, qui, pour PÉKIN, a pour simple objectif l’annexion de Taïwan, est quelque peu occulté par la guerre en Ukraine et par le drame de Gaza.

À WASHINGTON, depuis la présidence de Barack OBAMA, la doctrine est celle d’un réajustement des priorités extérieures des États-Unis vers l’Asie-Pacifique, afin de contrer la montée en puissance et l’expansionnisme de la Chine communiste. Cette tendance relègue quelque peu au plan secondaire l’Europe et le Proche-Orient.

C’est vrai, mais avec Donald TRUMP, cette tendance s’est brutalement accélérée, non ?...

En effet, mais de façon tellement brouillonne qu’elle aboutit plutôt à servir les intérêts de PÉKIN.

Comment cela ?...

Par sa déclaration de guerre commerciale universelle, M.TRUMP entend provoquer un choc mondial, à utiliser comme moyen de pression, autant politique qu’économique, sur l’ensemble des pays du globe.

Pour ce qui est de la Chine, les droits de douane disproportionnés, imposés aux importations des marchandises de celle-ci aux États-Unis, sont censés dissuader le Président XI Jinping de tenter une invasion militaire de Taïwan.

Mais c’est tout le contraire qui, désormais, devient possible. 

Surprenant, avouez-le, QD – expliquez-nous…

Jusqu’ici, PÉKIN usait d’incidents vexatoires à l’égard du trafic maritime autour de Taïwan, sous forme d’arraisonnements douaniers ou de contrôles sanitaires de cargos faisant route vers le grand port taïwanais de KAOHSIUNG. De plus, d’importantes manœuvres navales, comportant des essais de tir à munitions actives, sont régulièrement organisées autour de l’île, en violant les eaux territoriales taïwanaises ; de même, pas une semaine se passe sans plusieurs incursions dans l’espace aérien de l’île par des appareils militaires ou par des ballons d’observation de la Chine communiste.

Cette tension est entretenue, et va en croissant, depuis le retour de Donald TRUMP à la Maison-Blanche. Et cette politique de PÉKIN, parfaitement pensée et maîtrisée, sème la zizanie dans la classe politique taïwanaise, entre les partisans de l’indépendance et ceux de l’accommodement, unis sur un seul constat : l’intervention militaire américaine ne constitue plus une garantie absolue, M. TRUMP étant fortement soupçonné d’être tenté par des accords d’affaires – des deals – avec PÉKIN, dont l’abandon de Taïwan serait le prix. Les leçons de l’Ukraine n’échappent à personne à TAÏPEH, capitale de l’île.

Mais ceci n’est qu’une partie de cette crise.

A quoi pensez-vous ?...

Dans une étude du cabinet new-yorkais Rhodium, parue il y a trois ans, un blocus complet de l’île et du Détroit de Formose entraînerait un coût de plus de deux millions de millions de Dollars à l’économie mondiale.

Voilà de quoi faire réfléchir : assez cyniquement, les grands acteurs économiques seraient fondés à préférer le scénario de l’invasion militaire, plus rapide et donc davantage indolore.

D’autre part, Taïwan est le berceau du Numéro Un mondial de la fabrication de microprocesseurs, le groupe TSMC, dont les trois-quarts de la production sont destinés à l’Amérique du Nord. Or, Donald TRUMP insiste que cette entreprise vienne fabriquer ses puces aux États-Unis – ce qui, évidemment, ôterait du coup tout intérêt à ménager Taïwan.

Conclusion ?...

Conclusion : à PÉKIN, on constate qu’à WASHINGTON, les purges au sommet du Pentagone s’ajoutent aux décisions régulièrement démenties, alors que le flottement et l’imprévisibilité de Donald TRUMP paraissent confirmer qu’il est plus enclin à rechercher des deals rémunérateurs qu’à affirmer sa force militaire.

Conclusion de la conclusion : XI Jinping peut se dire qu’il a en ce moment une occasion à saisir pour lancer une opération militaire sur Taïwan, qui mettrait M. TRUMP devant le fait accompli, sans réaction notable de sa part. En somme, la parfaite fenêtre de tir.