Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.
Cette semaine, Quentin Dickinson, vous revenez sur un fait-divers dramatique, ses conséquences immédiates, et la réflexion politique générée par la suite…
Nous sommes le 29 juillet de cette année ; à SOUTHPORT, ville côtière sur la Mer d’Irlande, située à une trentaine de kilomètres de LIVERPOOL.
Un cours de yoga et de danse, inspiré par Taylor SWIFT, réunit dans un centre culturel municipal vingt-cinq enfants.
Surgit alors un adolescent armé d’un couteau de cuisine, qui se jette sur les petits danseurs et leurs monitrices. Avant d’être maîtrisé par les riverains, alertés par les cris, et remis à la police, il aura eu le temps d’égorger trois fillettes, âgées de six à neuf ans, et de blesser six autres ainsi que deux adultes.
C’est atroce – mais pourquoi évoquer ce pénible souvenir ?...
Vous allez comprendre : l’assassin est encore mineur d’âge à l’époque, et la police, dans un premier temps, se refuse à l’identifier. Cependant, les témoins rapportent qu’il est noir.
C’est le point de départ des plus graves émeutes que le Royaume-Uni ait connu depuis dix ans.
Car une chaîne vidéo, pourtant connue pour son goût prononcé du sensationnel et son irresponsable mépris des faits, diffuse en boucle sur l’Internet l’information, selon laquelle l’homme serait un musulman, djihadiste, et immigré en situation irrégulière. Les autorités sont impuissantes à arrêter la rapide propagation de cette folle rumeur.
Le lendemain, une foule en colère incendie une mosquée voisine. Attisée par des groupes d’extrémistes racistes, épaulés par des gros-bras antisystèmes, la vague d’indignation gagne plus d’une demi-douzaine de villes, et s’étend à l’Irlande du Nord.
Les dégâts infligés aux lieux et infrastructures publics, les pillages de centres commerciaux se multiplient. Plus de mille individus de tout âge et condition sociale seront arrêtés et six cents en seront condamnés par la justice.
En réalité, l’auteur des faits, Axel RUDAKUBANA, est un citoyen britannique né en 2006 au Pays de Galles dans une famille chrétienne, originaire du Rwanda.
L’enquête établira qu’il a certes été influencé par la rhétorique islamiste, mais qu’il souffre surtout de troubles mentaux graves.
Vous disiez que vous vouliez évoquer la réflexion politique que cette affaire a déclenché Outre-Manche…
L’affaire a commencé, dans les sondages, par remonter l’immigration et l’insécurité au pinacle des préoccupations des Britanniques, éclipsant le coût de la vie. La réaction immédiate, parfaitement prévisible, a été de promettre des mesures, aussi drastiques qu’irréalisables, de contrôle des flux migratoires. Mais pas seulement.
Comment cela ?...
Plusieurs études ont estimé que le drame de SOUTHPORT n’était pas – ou pas uniquement – le déclencheur d’une réaction spécifique, mais bien l’explosion, jusque-là contenue, du rejet collectif de la classe politique du royaume.
Car : le manque d’écoute des souhaits des citoyens ; les centres de décision trop éloignés de la réalité qu’ils sont censés administrer ; l’évaporation de l’État protecteur ; la litanie des discours, énergiques ou melliflues, qui ne débouchent que sur des promesses non-tenues ; un système de santé publique à la déglingue ; une série de coûteuses bévues et de petits scandales – voilà qui justifie largement la lame de fond qui traverse actuellement la société britannique.
On suppose que le gouvernement de Sa Majesté en est bien conscient…
Effectivement. Ce qui est intéressant, c’est que les conseillers du Premier ministre, Sir Keir STARMER, ont détecté une convergence inattendue : c’est que les manifestations les plus violentes éclatent dans des quartiers bloqués une bonne partie de la journée par des embouteillages, où les trottoirs sont encombrés d’immondices, où les transports en commun sont organisés sans la moindre consultation avec les usagers, où les riverains ne peuvent plus garer leur voiture devant chez eux, où murs et maisons sont couverts de graffiti que la municipalité ne cherche même plus à effacer.
L’on s’orienterait donc, dit-on chez les Travaillistes, vers une espèce de retour à des quartiers nettoyés et viabilisés, repensés avec leurs habitants, et accompagnés par la résurrection des services publics à la population.
Tout cela réduira sans doute l’incivisme et accroîtra peut-être le sentiment d’appartenance à la collectivité locale, mais n’aura évidemment aucune influence sur les flux migratoires ni sur l’insécurité, et ne hâtera pas davantage la réforme du Service national de Santé.
Il n’empêche : pour tout citoyen, la perception de la légitimité de l’ordre démocratique commence sur le pas de sa porte – et cette leçon fondamentale vaut tout autant pour les gouvernements des pays de l’Union européenne que pour celui du Royaume-Uni.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.