Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.
Cette semaine, Quentin Dickinson, vous ne cachez pas votre inquiétude quant aux règles du jeu dans le cyberespace…
Pure hypothèse, bien sûr : si, sur les réseaux sociaux, vous affirmiez sans la moindre preuve que votre voisin est un pédophile notoire, ou que vous appeliez les internautes à lui infliger des sévices physiques, selon les cas, vous seriez passible d’une condamnation du chef de diffamation ou de celui d’incitation à la haine. Agissant sur plainte ou par signalement de son propre système d’alerte, la cyber-plateforme ayant diffusé vos propos suspendra ou fermera votre compte. C’est clair et net.
En effet. Mais vos motifs de préoccupation sont ailleurs, Quentin Dickinson…
Voici, autre hypothèse : toujours sur les réseaux sociaux, vous proposiez à la vente une méthode infaillible pour s’enrichir en quelques heures – en échange de frais de dossier de quelques centaines d’Euros à virer sans tarder sur un compte bancaire, car la chance n’attend pas. Évidemment, vous encaissez l’argent et ne donnez aucune suite, tout en vous félicitant de la naïveté des grugés.
Et la cyber-plateforme ne réagit que mollement, voire pas du tout.
Pourtant, c’est un cas d’école d’escroquerie…
Sans aucun doute. Mais l’escroquerie peut même être plus froidement cynique ; nouvelle supposition : vous vous lancez à l’assaut des très nombreux sites de rencontre.
A l’aide de photographies et de vidéos créées de toutes pièces par un site pourvoyeur d’intelligence artificielle, vous assurez rechercher l’âme-sœur. La misère humaine est telle que les futures victimes accourront, voudront croire au dialogue qui s’instaurera en confiance, et ne refuseront pas le petit prêt destiné à vous tirer d’un mauvais pas provisoire. Bien sûr, vous n’attirerez pas à chaque fois dans vos rets l’héritière ni le veuf fortuné ; mais votre indifférence à la souffrance d’autrui vous assurera des revenus réguliers.
Et ici aussi, la cyber-plateforme ne réagit que mollement, voire pas du tout.
Mais c’est abominable – comment expliquer cette incroyable passivité ?...
Dans un premier temps, les plateformes disent ne pas avoir les moyens techniques ni humains pour endiguer et réduire ce torrent de malfaisance – quand, à l’exemple d’Elon MUSK après son rachat de Twitter, elles ne licencient pas tout simplement l’ensemble du personnel jusque-là chargé du contrôle du contenu, au nom d’une interprétation parfaitement abusive de la liberté d’expression. Il est vrai qu’on peut préférer la jungle, plutôt qu’un jardin à la française.
Mais cela ne s’arrête pas là ?...
Non, car il faut être conscient que la publicité engendrée par vos agissements illégaux produit légalement de l’argent pour les plateformes. Vous comprendrez donc qu’elles ne fassent aucunement du zèle pour réduire une si juteuse filière.
Est-ce qu’on dispose de chiffres précis à cet égard ?...
Depuis peu, on en a, et à bonne source. Nos confrères de l’Agence de presse canado-britannique REUTERS viennent de rendre publics des documents internes du groupe META, propriétaire notamment de Facebook et d’Instagram.
Ces documents, portant sur les quatre dernières années, révèlent que pas moins de 10 % des revenus du groupe proviennent de tentatives d’escroquerie – soit une rentrée de 16 milliards de Dollars pour la seule année 2024. Un dernier chiffre : chaque jour, META – selon sa propre estimation – publierait 15 milliards d’annonces frauduleuses.
Mieux : un algorithme repère les contenus suspects… pour lesquels META facture un supplément.
A plusieurs occasions, des cadres du groupe ont proposé en interne un contrôle accru des contenus, ce que Mark ZUCKERBERG, seul aux commandes du groupe qu’il a créé en 2004, aurait toujours poliment décliné.
Ce mépris institutionnalisé de META vis-à-vis du droit et de la morale peut-il être contré avec efficacité ?...
Aux États-Unis, les géants du numérique n’ont rien à craindre de Donald TRUMP, dont ils ont soutenu les campagnes électorales. En Europe, nous disposons depuis peu de deux instruments qui peuvent se montrer efficaces, ce sont la Loi sur les Services numériques de l’Union européenne et sa sœur, la Loi sur le Marché numérique.
Mais encore faut-il que les institutions de l’UE et les gouvernements des vingt-sept pays-membres trouvent le courage de faire vivre ces ensembles législatifs et donc, fatalement, de s’opposer aux fortes pressions actuelles provenant de WASHINGTON.
Dans les couloirs de la Commission européenne, on entend évoquer l’hypothèse de reports partiels voire de la simplification de tel ou tel disposition des deux lois.
Alors, si les classes politiques des pays de l’UE ne persistaient pas à se noyer dans d’insignifiantes querelles d’égo et dans un dangereux court-termisme, un début d’optimisme serait (peut-être) possible.
Toujours le même mot d’ordre donc pour nos concitoyens : vigilance et persistance !
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.