Cette semaine, QD, vous voulez nous parler d’un geste du quotidien qui entraîne, par effet boule de neige, des conséquences inimaginables et franchement inquiétantes…
Nous avons tous, très régulièrement, à chercher des informations ou à commander des objets sur l’Internet, et, quasi-automatiquement, le site ciblé nous demande notre accord pour qu’un fichier accessoire (cookie en anglais) puisse accéder à notre adresse de courriel.
Et, le plus souvent, pour faire vite, nous l’autorisons sans réfléchir, ce qui est évidemment le souhait dudit site.
Mais tout cela est banal, normal, et sans risque, non ?...
Si cela restait dans le cadre d’une relation commerciale limitée entre vous-même et ce site, oui, cela le serait ; mais voilà : en lisant bien le texte de demande d’autorisation, il y est le plus souvent précisé que votre autorisation s’appliquera non seulement au site en question, mais aussi à ses partenaires.
Et vous auriez tort de penser que ceux-ci sont exclusivement des sites marchands qui vous enverront de temps à autre l’annonce d’une promotion, que vous vous empresserez d’effacer sans en prendre connaissance.
Je reformule ma question : où est donc le problème ?...
En réalité, en autorisant de recevoir ce courrier commercial, vous alimentez non seulement le fichier du site que vous avez contacté mais aussi ceux de tous les partenaires à qui il en aura vendu l’accès.
Et ce marché des fichiers est rudement rémunérateur et totalement tentaculaire ; pour vous consolez, vous pouvez toujours vous dire que vous êtes connu dans le monde entier – comme tout le monde.
Mais voilà : l’accès à ces fichiers ne permet pas seulement à d’honnêtes cybermarchands et à de fieffés cyberescrocs de prospérer.
A qui pensez-vous, alors ?...
…à deux catégories de soldats de l’ombre : d’abord, les services de renseignement et de sécurité des États (ce ne sera toutefois pas notre propos aujourd’hui), et, ensuite, les officines politiques.
De celles-ci, on distingue celles qui dépendent d’un parti politique de celles qui sont animées par des instituts prêts à vendre leurs services au plus offrant.
Et ces services-là sont d’une haute technicité.
Expliquez-nous, QD…
Il s’agit de confronter et de fondre un grand nombre de fichiers. Prenons votre cas : un achat de vêtements, il y a cinq ans, permet de déterminer que vous êtes un homme.
L’adresse de livraison, qui indique votre quartier, contribue à situer votre niveau social. La commande d’un livre, il y a six mois, fixe assez précisément votre niveau d’études. La consultation de la liste électorale révèle votre degré d’assiduité civique.
Votre appartenance à une formation politique et/ou syndicale complètera le tableau, tout comme vos éventuels commentaires sur les réseaux sociaux et votre présence sur les sites de recherche d’emploi ou d’affinités.
Mais quel intérêt pour ceux qui se donnent tout ce mal pour mieux me connaître ?...
Sauf votre respect, en tant qu’individu, vous avez raison, vous ne présentez strictement aucun intérêt ; mais, parmi les centaines de milliers de personnes de votre circonscription électorale, vous appartenez à un groupe-fantôme de gens qui vous ressemblent assez.
Bien avant toute campagne électorale, vous deviendrez la cible, non pas de propagande électorale classique, mais, notamment, de boucles fermées auxquelles vous serez invité à participer. Vous y ferez la cyberconnaissance de nombre de gens qui – surprise – pensent comme vous.
Certains apportent des informations que vous n’avez pas lues dans le journal ; d’autres – surprise – ont les mêmes goûts musicaux que vous et vous indiquent la date d’un concert qui vous intéresse forcément.
Très logiquement, à l’approche des élections, chacun s’exprime librement – on est entre nous, pas vrai ? Et vous apprenez des horreurs que vous n’imaginiez pas sur des partis ou des élus – autant de vérités que les journalistes et la grande presse n’osent pas vous dire. Et chacun en rajoute une couche pêchée dans une autre boucle fermée.
En fait, vous êtes la proie d’habiles marionnettistes de l’ombre, passés maîtres dans l’art de déchaîner les passions, de provoquer les rejets, de semer la méfiance et d’engendrer des clivages durables au sein de nos sociétés démocratiques. C’est efficace et destructeur.
Mais à qui profite cette incroyable toile d’araignée ?...
Pour résumer, d’abord aux partis antisystème, qu’ils se positionnent à droite ou à gauche ; mais ils sont eux-mêmes les jouets d’enjeux qui les dépassent, les ficelles étant tirées par les gouvernements de pays autoritaires, voués à la perte de nos États démocratiques, de l’Union européenne, de l’OTAN, et de tout cadre institutionnel international fondé sur le droit et sur le dialogue.
On n’ose l’imaginer, mais il se pourrait bien que la victoire de Donald TRUMP soit la manifestation d’un premier triomphe de cette inquiétante coalition.
Songez-y la prochaine fois que vous autoriserez les cookies.
Une interview réalisée par Laurent Pététain.