Vous nous le disiez la dernière fois, nous n’allions pas échapper aujourd’hui à devoir nous pencher sur le Qatargate, cette affaire de corruption dont l’épicentre paraît se trouver au Parlement européen.
J’aurais évidemment préféré vous entretenir d’autre chose ce matin, mais, en effet, je sens que c’est ce qu’on attend de votre éditorialiste ; donc, allons-y.
Commençons par remettre l’affaire dans son contexte : soucieux d’entretenir une image de marque positive (ou de contrecarrer la diffusion d’informations peu reluisantes), tous les pays du monde cherchent à influencer les médias, les politiques, et l’opinion en général au-delà de leurs frontières. Rien que de très normal.
Mais tous les États n’y procèdent pas de la même façon. Un nombre non-négligeable d’entre eux a recours à la désinformation ou à la corruption, voire au deux.
Et c’est de ce dernier cas que relève l’affaire qui occupe la une des gazettes depuis samedi dernier.
En deux mots, que sait-on avec certitude de l’enquête en cours ?
Avec certitude, pas grand-chose, si ce n’est que les billets, pour un montant approximatif d’un million et demi d’Euros saisis par la police belge, sont authentiques.
Pour le reste, on peut avancer qu’autour de l’ancien eurodéputé italien Pierantonio PANZERI, resté très influent à BRUXELLES où il dirige une ONG consacrée à lutter contre l’impunité, s’est constitué un système de démarchage de pays peu regardants sur la morale, d’encaissement de pots-de-vin, et de redistribution à sa famille et à ses conjurés. Le porteur de valises (de billets) en était un assistant parlementaire du groupe socialiste au Parlement européen, Francesco GIORGI, par ailleurs compagnon de l’eurodéputée grecque Eva KAÏLI, qui était jusqu’à ces dernières heures au nombre des quatorze vice-présidents du Parlement européen. M. GIORGI serait en aveux.
En dehors des proches, dénués de toute influence, de Mme KAÏLI et de M. PANZERI, apparaissent deux personnages dont le lien avec ceux-ci est peu clair : il s’agit de l’eurodéputé socialiste belge Marc TARABELLA, qui nie toute implication, et du patron du syndicalisme mondial, après avoir été celui de la Confédération européenne des Syndicats, Luca VISENTINI, laissé en liberté sous condition.
Et vous dites que ces faits, désormais plus ou moins avérés, vont bien au-delà de leurs conséquences judiciaires ?
C’est l’évidence-même. Car, si l’on survole le dossier, l’on ne peut s’empêcher de se dire que deux États, le Qatar et le Maroc, se sont laissé abuser par un groupuscule dont la capacité à modeler l’opinion de 705 eurodéputés et de 2.200 collaborateurs parlementaires était voisine de zéro. Et ensuite, ledit groupuscule, pris de panique lorsqu’il a senti l’étau se refermer sur lui, n’a su que faire matériellement des si encombrants sacs et valises de billets de banque.
Les Pieds-nickelés eux-mêmes se seraient sûrement montrés davantage à la hauteur de la situation.
Tout cela prêterait à sourire, sauf que cela ridiculise deux pays, par ailleurs sur le devant de la scène du Mondial de Football, et que cela discrédite le Parlement européen à dix-huit mois des prochaines élections européennes.
Justement, quelles peuvent donc en être les conséquences pour ce scrutin ?
La représentation proportionnelle favorise, on le sait, les petites formations et amplifie le poids des partis davantage installés. Or, le Qatargate ne va pas s’évaporer du jour au lendemain – au contraire, il va très certainement dérouler ses péripéties et nouvelles révélations jusqu’à l’élection.
Et ce sera pain béni pour l’extrême-droite, pour les nationalistes, et pour l’extrême-gauche ; pour la droite classique et pour les centristes, ce sera tout autant un nectar de miel. Et les socialistes raseront les murs, tout comme ceux qui auront, à un moment ou un autre de leur mandat politique, prononcé le nom de l’Émirat du Qatar ou du Royaume chérifien du Maroc autrement que pour les embrocher.
La crédulité de quelques-uns et la corruption d’un petit nombre aura donc durablement terni l’image du Parlement européen et déséquilibré la composition de celui-ci, et donc la juste représentation que sont en droit d’attendre les citoyens de l’Union européenne. C’est impardonnable.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.