Chaque semaine, Quentin Dickinson revient sur des thèmes de l'actualité européenne sur euradio.
Aujourd’hui, Quentin Dickinson, vous avez choisi de nous parler des deux sujets qui préoccupent le plus les citoyens de l’Union européenne, tous pays confondus, c’est cela ?
Ces deux sujets sont les flux migratoires et la sécurité, qui, depuis quelque temps, éclipsent dans les sondages les traditionnelles références à la santé, à l’inflation, ou aux retraites, parmi d’autres.
Les flux migratoires et la sécurité, donc, ou, pour traduire plus précisément la perception des Européens : l’immigration et l’insécurité, dont on comprend que, pour beaucoup, ces deux notions sont liées. L’idée simple, qui explique l’essor des partis populistes, c’est que supprimer les immigrés ramènerait la quiétude d’antan.
Vous partagez cette idée, Quentin Dickinson ?
Non, bien sûr, car elle se brise au contact des réalités. La première de celles-ci, c’est que l’immigration n’est un phénomène ni nouveau, ni négatif. On rappellera d’ailleurs au passage que les flux migratoires les plus importants sont internes, c’est-à-dire par le mouvement de citoyens d’un pays de l’UE qui se fixent dans un autre pays de l’UE que le leur – ce qui n’inquiète personne, et surtout pas les dirigeants de partis politiques populistes, eux-mêmes parfois issus de l’immigration italienne ou espagnole.
L’autre réalité de base, c’est que l’Europe amorce depuis le début du siècle une décroissance démographique régulière, qui affecte à des degrés divers l’ensemble de nos pays, dont le plus atteint est l’Allemagne.
Ceci n’est pas sans effet sur l’économie, qui, de plus, peine à effacer les conséquences à long-terme des habitudes prises au cours des trois années marquées par la pandémie de la COVID – voyez autour de vous les secteurs entiers qui souffrent d’un manque de personnel qualifié ou qui ne parviennent pas à fidéliser leurs salariés, dans un monde où le rapport au travail a radicalement changé en très peu de temps.
Certes, mais ceci n’explique pas la crispation de la classe politique dans l’ensemble de l’UE, dès qu’on évoque l’immigration
Les politiques auront trop longtemps traité ce phénomène comme une vache sacrée et intangible qu’il convenait à tout prix d’occulter, pour éviter d’appuyer là où ça pouvait faire mal, pensait-on.
Ce faisant, l’immigration, élément somme toute banal et peu complexe de l’économie, n’aura jamais été gérée avec la rigueur et la sérénité qui auraient dû s’imposer à chacun. La gestion au niveau national, plutôt qu’à l’échelle de notre continent, aura elle aussi contribué à cet échec collectif. C’est qu’en politique, la procrastination et l’irrésolution finissent toujours par coûter cher.
Mais alors, que faire ?
Quand on ne peut pas revenir en arrière, on ne peut qu’aller de l’avant. Il faut comprendre que les flux migratoires ne peuvent être empêchés, mais qu’il convient de les comprendre, de les endiguer, de les organiser.
D’ici la fin du siècle, on peut d’ores et déjà prévoir d’importants mouvements de population provoqués par le dérèglement climatique ; ceci appelle de toute évidence une gestion au niveau mondial qui écherrait à l’Organisation des Nations-Unies, qui ne paraît cependant pas prendre actuellement toute la mesure de sa responsabilité dans ce domaine.
Et en Europe, comment pourrait-on s’y prendre ?
On ne repartira du bon pied qu’à la condition d’en venir enfin à une approche de simple bon sens : cela commence par imposer, là où cela s’avère nécessaire, une intégration intelligente et humaine des individus et des familles installées en Europe depuis les années 1960, à effacer les zones de peuplement qu’on a laissé échapper à la règle commune, et à ne pas traiter comme de scandaleuses injustices toute déchéance de nationalité européenne et toute expulsion du territoire de l’UE – voilà pour l’existant.
Mais l’essentiel est ailleurs.
Que voulez-vous dire par là ?
L’Union européenne doit se doter d’une véritable politique commune en matière d’accueil de personnes qui, à un titre ou à un autre, souhaitent s’installer ici. L’Europe doit exercer sa souveraineté et non réagir dans l’urgence à des faits accomplis qu’on lui impose ; elle doit réagir avec fermeté à toute tentative de chantage à l’immigration de la part de gouvernements étrangers.
Et que faites-vous des réfugiés ?
Les réfugiés fuyant une situation intolérable ou une catastrophe naturelle seraient évidemment recueillis et répartis de façon équitable entre les pays de l’UE, mais, en clair, l’Europe ne saurait être le lieu de refuge de tout le malheur du monde ; elle doit en prendre sa part, tout comme devront le faire les autres États démocratiques et respectueux de l’humain que compte la planète.
Mais on n’arrêterait pas pour autant l’arrivée de migrants dans l’UE ?
Non, on l’encouragerait. On peut imaginer que, chaque année, la Commission européenne centralise les besoins en main-d’œuvre de l’économie de chacun des pays-membres, branche par branche ; l’information serait communiquée aux États et aux organisations intéressées, et les candidatures seraient reçues et examinées au cas par cas. Des contrats à durée limitée, sans droit automatique au regroupement familial, seraient proposés, à l’issue desquels le travailleur migrant retournerait dans son pays d’origine, nanti d’un pécule destiné à sa réinsertion, permettant par exemple de créer un atelier ou un commerce.
Cela ne doit pas être trop difficile de mettre tout cela en place, me direz-vous, mais voilà, à trop se préoccuper de la prochaine échéance électorale, on en oublie souvent d’imaginer l’avenir.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.