Edith Le Cadre est directrice de recherche en agronomie à l'institut agro. Une semaine sur deux sur euradio, elle décrypte les différents sens l'agroécologie et se demande si cette dernière peut être une solution aux enjeux de notre époque.
Aujourd’hui dans cette nouvelle chronique, nous aborderons les collaborations Nord-Sud en matière d’agroécologie.
À l’occasion d’un déplacement professionnel, il m’est apparu que ce point n’était que peu développé dans nos dernières chroniques. Une autre raison de plus de faire cette chronique est que l’agroécologie est parfois accusée de menacer la sécurité alimentaire par des rendements inférieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle. C’est un sujet délicat, qui alimente bon nombre de polémiques, car forcément, ce sont deux visions et intérêts économiques qui s’affrontent. Afin d’aborder cette question, je souhaite vous parler du pacte vert, ou green deal, de l’Union européenne. Nous pourrons élargir ensuite dans une autre chronique les rapports Nord-Sud
Est-ce que la stratégie de la ferme à la table, ou « farm to fork » abondamment commentée par les médias et réseaux sociaux, fait partie de cette stratégie de développement de l’agroécologie?
Le pacte vert comprend différents volets qui déclinent la stratégie européenne face au changement climatique, la dégradation de l’environnement, et les besoins alimentaires des citoyen·nes européen·nes.
En résumant, il s’agit dans ce pacte vert d’imaginer une mutation vers une économie moderne, efficace dans l’utilisation des ressources, compétitive, et éthique. L’objectif est de transformer les différents secteurs économiques, dont l’énergie par exemple. Mais ce qui nous intéresse dans cette chronique, c’est le secteur agricole. Et pour ce secteur, la stratégie de la ferme à la table est évidemment centrale, pour développer une agroécologie à large échelle au niveau européen comme une réponse face aux enjeux environnementaux et sociétaux, mais également de sécurité alimentaire.
De quoi est-il concrètement question dans cette stratégie de la ferme à la table ?
Il est surtout question de transition vers l’agroécologie, donc pas de rupture avec le modèle dominant conventionnel. C’est donc assez paradoxal que des attaques aussi virulentes sur le plan « farm to fork » aient été formulées en utilisant des arguments de menace envers la sécurité alimentaire. Certaines de ces critiques se basaient sur une évaluation de la stratégie européenne par l’USDA organisme américain, qui depuis a lui même été critiqué en retour car supposé trop simpliste, voire partial dans son analyse de la stratégie européenne
En plus de la transition, quels sont les autres points à retenir de cette stratégie ?
Cette stratégie aborde la résilience des productions européennes vis à vis du climat, mais également vis à vis d’autres chocs comme le prix des engrais de synthèse, ou les pandémies.
En termes de mesures concrètes, je peux citer en exemple l’ambition d’une réduction drastique des pesticides. Cette stratégie compte également un volet de modification des régimes alimentaires et de prix abordables des denrées alimentaires, et de soutien à la compétitivité des filières. Ce qui est intéressant dans cette stratégie, c’est qu’elle évoque les systèmes alimentaires et pas seulement la production en tant que telle.
C’est donc très englobant ! et correspond à la définition de l’agroécologie selon Stephen Gliessman. Qu’en est-il de la stratégie biodiversité qui selon vous alimente également une vision agroécologique à l’échelle européenne ?
Le plan biodiversité existe au niveau européen et français. Au niveau européen, les objectifs sont majoritairement de protection des espaces naturels et de restauration des espaces dégradés notamment ceux à fort potentiel de stockage de carbone.
Le plan biodiversité décidé par la France s’articule autour de 6 axes qui ensembles visent à augmenter la biodiversité dans l’ensemble du territoire au travers de mesures concrètes de réduction de la pollution, de promotion d’infrastructures écologiques, et de l’éducation à la biodiversité. Mais ces deux plans pour la biodiversité se rejoignent sur l’objectif de revendiquer une dimension de gouvernance pour protéger la biodiversité. Ainsi, on comprend bien que les deux stratégies européenne et française, pour peu qu’elles soient coordonnées ont la possibilité de faire un effet de levier si elles sont assumées.
Depuis la révélation de ces deux plans, ferme à la table et biodiversité, quelques organismes ont construits des prospectives tendant à prouver que celles ci sont capables d’assumer une mutation sans risques sur la sécurité alimentaire et la compétitivité de l’Europe. Par contre, ces mêmes prospectives soulignent l’importance de politiques volontaristes qui encouragent la modification systémique de la chaine de valeurs associée à la transition agroécologique
Entre autres, il est essentiel de promouvoir une modification en profondeur de nos régimes alimentaires sur deux points. La réduction de la quantité de calories ingérées, nos régimes alimentaires sont déséquilibrés face à nos besoins réels et sur le rééquilibre de la part des protéines animales et végétales. Il faut redécouvrir et promouvoir la production de protéines végétales par la réintroduction des légumineuses
Et je terminerai par dire que le soutien de la recherche agronomique pour la conception et l’évaluation de ces nouveaux systèmes agricoles font partie de l’équation, car il faut un renouvellement des méthodes de conseil agricole pour passer de la prescription à l’accompagnement des agriculteurs et agricultrices.
Avant de nous quitter, on rappelle à nos auditeurs que certains points de cette chronique qui ont abordé la transition et les figures de l’agroécologie sont à retrouver sur notre site euradio !
Entretien réalisé par Laurence Aubron.