Chaque semaine sur euradio, Perspective Europe, l'association du master "Affaires européennes" de Sciences Po Bordeaux, revient sur l'actualité bruxelloise et européenne.
Alors Lucie, dites-moi : quoi de neuf en Europe ?
Alors que le secteur agricole se réunit cette semaine à Paris à l’occasion du salon international de l’agriculture ; mercredi dernier à Bruxelles, les Commissaires européens Raffaele Fitto et Christophe Hansen ont présenté la nouvelle “vision pour l’agriculture et l’alimentation” de la Commission, qui établit ses objectifs à horizon 2040, donc pour les 15 années à venir. Ce nouveau plan pour l’agriculture fait suite aux nombreuses mobilisations d’agriculteurs ayant eu lieu l’année dernière en réaction aux contraintes appliquées à leur travail par la PAC, le Pacte Vert et les accords de libre-échange. Il remplace la stratégie de 2021 nommée “de la ferme à la fourchette”.
Que contient donc cette “vision pour l’agriculture et l’alimentation” ?
Attractivité, simplification et compétitivité sont les maîtres mots de la Commission pour la stratégie agricole européenne. Face aux difficultés des agriculteurs, elle veut rendre le secteur plus attractif pour les jeunes et éviter que les petits exploitants vendent en dessous de leurs coûts de production. Cela doit notamment passer par une nouvelle répartition des subventions de la PAC, selon Christophe Hansen, qui qualifie le système actuel d’injuste. Celui-ci est en effet fondé sur la taille des exploitations et défavorise donc les petits agriculteurs qui perçoivent beaucoup moins de subventions européennes que les grandes exploitations, qui elles en captent une très grande majorité. Cependant, le document publié par la Commission ne prévoit pas de mettre fin à ce système, mais seulement de favoriser la dégressivité et les plafonds des subventions afin de les rediriger vers ceux qui en ont le plus besoin. La Commission européenne souhaite par ailleurs offrir une plus grande flexibilité aux agriculteurs en simplifiant les exigences réglementaires qui représentent selon elle des “charges bureaucratiques étouffantes” et simplifier les paiements des subventions de la PAC. Elle veut enfin favoriser la compétitivité de l’agriculture européenne afin d’encourager les exportations.
Comment ce nouveau plan a-t-il été reçu par les acteurs du secteur ?
Il a été plutôt bien accueilli par la COPA-COGECA, le premier lobby agricole européen dont fait partie la FNSEA, qui a salué cette vision. En revanche, du côté des ONGs environnementales, le projet de la Commission est largement déploré. Alors que l’Agence européenne pour l’environnement, estime que la majorité des indicateurs, et notamment celui des surfaces agricoles bio, sont probablement ou totalement hors trajectoire par rapport aux objectifs climatiques 2030 de l’UE, cette nouvelle vision de la Commission européenne ne prévoit aucun objectif chiffré pour verdir le secteur agroalimentaire. Elle se dirige plutôt vers une réduction des standards environnementaux, dans une optique de simplification et d’apaisement de la colère des agriculteurs. Le commissaire à l’agriculture considère que le secteur alimentaire doit participer à la décarbonation de l’économie mais qu’il s’agit d’un secteur particulier et laisse donc la porte ouverte à son exonération des objectifs climatiques.
Certaines exigences actuelles conditionnant le versement des aides de la PAC pourraient ainsi devenir seulement des incitations et être remplacées par un outil volontaire de benchmarking : une boussole de durabilité. En outre, Christophe Hansen ne souhaite pas que des pesticides supplémentaires soient interdits sans alternative pour les agriculteurs.
Les aspects environnementaux ont beaucoup été discutés récemment vis-à-vis du MERCOSUR, les agriculteurs français notamment, accusant l’accord de favoriser la concurrence déloyale en autorisant l’importation de produits non-alignés sur les standards européens en matière de pesticides justement, est-ce que cette vision propose d’y remédier ?
Pas vraiment. Même si la Commission prévoit de mener une analyse d’impact sur les importations de produits étrangers, une législation ne sera proposée que si nécessaire selon ce plan. Il ne contient donc pas d’engagement formel pour éviter la réintroduction de pesticides interdits dans l’UE via les importations de produits étrangers, ni contre la production sur le sol européen de substances bannies du marché, dans le but de les exporter vers des pays tiers, pour laquelle la Commission favorise aussi l’évaluation. Cela est également regretté par les ONGs environnementales, d’autant plus qu’une telle interdiction avait été prévue dans une version antérieure du texte mais a finalement été abandonnée.
Et comment la Commission compte elle mettre en œuvre cette vision ?
Cela va nécessiter plusieurs étapes. Il faut savoir que ce plan est proposé après huit mois de “dialogue stratégique” avec les acteurs des secteurs agricole et agroalimentaire et ne va pas être immédiatement mis en œuvre. La Commission européenne devrait présenter une réforme de la Politique agricole commune au printemps ; puis à l’automne, de nouvelles mesures de simplification devraient être proposées, notamment pour accélérer la mise sur le marché des biopesticides (des produits à base de micro-organismes ou de substances naturelles qui pourraient représenter une alternative aux pesticides chimiques). Mais ce qui est le plus attendu et qui va réellement déterminer l’avenir de la PAC, c’est le prochain cadre financier pluriannuel pour 2028 - 2034, qui devrait être proposé en juillet par la Commission. D’ici là, cette dernière souhaite privilégier la concertation et le dialogue avec les acteurs du secteur, afin d’éviter que les nouvelles mesures soient perçues comme des contraintes supplémentaires pour les agriculteurs.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.