Alexandre PIRON est assistant académique au sein du département d’Études politiques et de gouvernance européenne du Collège d’Europe. Il a également travaillé comme assistant en enseignement et recherche au sein de l’École interfacultaire en études européennes à l’UCLouvain. C’est à l’UCLouvain même qu’il a démarré sa formation académique avec un Master en relations internationales avec une spécialisation en diplomatie et résolutions de conflits. Il a été l’auteur d’un mémoire analysant la politique d’aide humanitaire européenne respectivement en Ukraine et Palestine et plus particulièrement quels sont les facteurs expliquant les montants donnés dans ces deux crises.
Merci d’être parmi nous aujourd’hui pour nous parler d’aide humanitaire. Commençons par vous demander de nous expliquer ce qu’est l’aide humanitaire.
Lorsque l’on pense à l’aide humanitaire, on imagine ces médecins et bénévoles qui interviennent auprès de la population qui vient de vivre une grande catastrophe naturelle et qui est désormais dans le besoin d’assistance. C’est effectivement l’une des actions les plus spectaculaires et la plus visible de l’aide humanitaire, mais cette dernière ne s’arrête pas à cela. Si l’on regarde la définition internationale, l’aide humanitaire est déclenchée pour répondre aux besoins des populations affectées par les catastrophes de cause naturelle ou humaine, en prêtant une attention particulière aux victimes les plus vulnérables.
Et au niveau européen, qui est en charge d’une telle politique ? Quel est son rayon d’action ?
Depuis 1992, les États membres européens ont délégué cette compétence, pourtant étatique, à la Commission européenne et plus particulièrement au service chargé de la protection civile et des opérations d’aide humanitaire européennes, la DG ECHO. Se fondant sur les principes humanitaires d’impartialité, de neutralité, d’indépendance et d’humanité, la DG ECHO est déjà intervenue depuis plus de 30 ans dans 110 pays. Ces principes sont extrêmement importants car ils permettent de fournir une aide à toute personne dans le besoin indépendamment de leur origine ethnique ou raciale, religion, sexe, âge, nationalité et affiliation politique. Nous reviendrons sur ces derniers dans le cadre de la guerre en Ukraine mais nous pouvons déjà pointer qu’ils sont importants car ils sont notamment aussi garants de l’accès aux terrains parfois inaccessibles pour les acteurs étatiques et politiques.
Venons-en à l’Ukraine et à la guerre qui a très certainement eu un impact énorme sur la population vivant sur place. Quelles sont les prochaines étapes que va suivre l’UE en politique d’aide humanitaire ?
Tout d’abord, à travers son réseau d’experts positionnés sur le terrain, ces derniers vont premièrement évaluer quels sont les réels besoins de la population ukrainienne : que ce soit en termes de logements, de bien alimentaires, accès à l’eau, etc. Les besoins sont, j’en suis sûr, énormes. Sur le site de la DG ECHO, ils mentionnent plus de 17,7 millions d’Ukrainiens dans le besoin depuis l’accélération de l’invasion russe du 24 février. Car oui, rappelons-le, la Russie a démarré la guerre en 2014 avec l’annexion de la Crimée. Bien que l’aide humanitaire européenne fut présente avant cette année, intervenant principalement dans les Oblasts de Louhansk et Donetsk, elle est aujourd’hui à une échelle bien plus importante où les besoins seront majeurs dans les prochains mois. Bien que la DG ECHO ait la compétence pour cette politique et qu’elle dispose d’experts sur le terrain, elle n’est pas en mesure d’implémenter elle-même directement l’aide humanitaire. Elle passe donc par la délégation à des partenaires tels que des ONG ou des Organisations Internationales (Croix-Rouge, ONU, etc.). Voici les principales étapes que suivra la politique d’aide humanitaire européenne en Ukraine.
Et dans les territoires ukrainiens fraichement libérés, une aide humanitaire pour tous ?
Eh bien il le faudra ! Je m’explique : pendant l’occupation, certains ukrainiens, à tort ou à raison le débat n’est pas là, auront été tentés de collaborer d’une manière ou d’une autre avec l’occupant. Ces territoires, fraichement libérés, auront subi d’énormes dégâts sur les habitations, les infrastructures de santé, de distributions d’eau, etc. Il faudra donc une intervention rapide pour venir en aide à ces populations. Il pourrait y avoir une certaine tentation, des populations, des miliaires et des politiques ukrainiens de se venger sur ces personnes ayant collaboré et donc de les empêcher d’avoir accès à cette aide, pourtant si précieuse. C’est ici que le jeu dangereux pourrait avoir lieu, car bien que certains sentiments à leur égard paraissent légitimes, il est sans dire qu’ils restent humains et nécessitent une assistance. C’est ici que le respect des principes humanitaires cités précédemment sera important. La neutralité, l’humanité, l’impartialité et l’indépendance de l’aide humanitaire sont primordiaux non seulement pour que cette aide soit déployée efficacement sur le terrain mais également pour la réputation même de cette politique européenne. Rappelons que cette réputation est parfois la seule chose qui offre aux acteurs humanitaires l’accès aux terrains difficiles et aux populations dans le besoin.
Et finalement, comment garantir la sécurité des acteurs humanitaires sur le terrain ?
Effectivement, la sécurité est une condition sine qua non pour que cette aide humanitaire soit acheminée aux populations et cela est très compliqué dans le cadre d’un conflit armé comme en Ukraine. Il est souvent donc nécessaire que l’armée soit impliquée pour protéger acteurs humanitaires et populations. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi mais il existe également un danger qui est lié à une possible instrumentalisation de cette aide. Charlotte Dany parlait de militarisation de l’aide humanitaire. Rapidement, cela fait référence au possible problème de distinction entre les actions humanitaires et militaires qui amènerait à l’utilisation de l’aide humanitaire dans le cadre de stratégies militaires plus larges. Cela compromettrait les principes de neutralité et indépendance. Il y a donc un équilibre à trouver entre sécurité et libertés d’action.
Finalement, pensez-vous que l’aide humanitaire européenne joue son avenir dans cette guerre ?
Je pense qu’en effet, elle joue une partie de sa réputation et donc de son futur. Il ne faudrait pas que l’UE soit tentée de laisser son aide humanitaire instrumentalisée par des acteurs ne se souciant pas de ses principes et règles. Pourtant, des millions d’êtres humains en dépendront dans un avenir plus ou moins proche.
Entretien réalisé par Laurence Aubron