Chaque semaine, la série de podcasts "L'Europe vue de Bruges" propose un éclairage original sur l’actualité européenne, vue depuis Bruges. Les intervenant·es sont des étudiant·es de la promotion Jacques Delors (2024-2025), des Assistant·es académiques et, plus ponctuellement, des professeur·es.
Luis Matos est Assistant Académique au Département des Études Politiques et de Gouvernance Européennes au Collège d'Europe à Bruges depuis août 2024. Il détient un Master en Études Politiques et de Gouvernance Européennes du Collège d'Europe (promotion Madeleine Albright) et un Master en Droit de l'Université de Maastricht, ainsi qu'une Licence en Droit Portugais de l'Université de Porto.
Les discussions autour du prochain Cadre Financier Pluriannuel de l'UE pour la période 2028-2034 sont déjà bien entamées, et une version récente du document, qui a fuité, a révélé une tension évidente entre une volonté de simplification du budget et la préservation de l'implication régionale. Mais en quoi consiste précisément le Cadre Financier Pluriannuel de l'Union européenne, et quel est son rôle dans la planification budgétaire à long terme de l'UE ?
Le Cadre Financier Pluriannuel, c’est un peu la feuille de route budgétaire de l’Union européenne sur sept ans. Il fixe les priorités de dépenses et les plafonds pour l’ensemble de l'UE, ce qui détermine combien de fonds seront alloués à des politiques comme l’agriculture, la recherche, le climat ou encore la cohésion. En gros, c’est un document clé qui assure que l’UE ait un budget et une direction bien définis pour mener ses actions.
Mais alors, qui décide de tout ça ? Eh bien, la Commission européenne élabore la proposition initiale du CFP, qui est ensuite transmise au Parlement européen pour un avis consultatif. Après, le Conseil discute et doit approuver le budget à l’unanimité, avant de le soumettre à l’approbation finale du Parlement, qui n’a pas la possibilité d’apporter des modifications supplémentaires. Et n’oublions pas le Comité des Régions, qui donne son avis sur les impacts du texte. Vu la complexité de ce processus et l’importance du CFP, les négociations informelles démarrent souvent des années avant son adoption officielle.
Donc, le budget de l'UE est extrêmement important car il sert de cadre directeur pour les actions de l'Union. Mais alors, quel est l'enjeu de cette nouvelle proposition qui a fuité ?
Eh bien, le projet de budget à long terme de l’UE propose des réformes structurelles importantes, comme la fusion de plusieurs fonds, l’introduction de nouvelles mesures de conditionnalité, et un mouvement vers une gestion plus centralisée et simplifiée.
Le point qui a provoqué le plus de réactions à Bruxelles, c’est la fusion des Fonds de Cohésion et de la Politique Agricole Commune, la PAC. L’idée serait de créer un « méga-fonds » pour remplacer les nombreux fonds de gestion partagée qui composent environ 70 % du budget actuel de l'UE. Cette gestion partagée signifie que les fonds sont négociés entre la Commission européenne, les autorités nationales et les autorités régionales. La cohésion et la PAC, à elles seules, représentent à peu près les deux tiers des dépenses de l’UE.
Politiquement, cela pourrait avoir de grandes conséquences. Les États membres auraient davantage de liberté pour décider des domaines auxquels ils souhaitent allouer les fonds européens et pour fixer leurs priorités. Est-ce pour relancer l’économie, pour soutenir l’agriculture, ou pour réduire les inégalités sociales au niveau régional ? Concrètement, cela signifie que les décisions sur le « où », le « comment » et le « par qui » l'argent de l’UE est dépensé seraient davantage déterminées de manière centralisée par les gouvernements nationaux.
Je vois ! Mais cela ne signifierait-il pas que les autorités régionales, qui ont traditionnellement eu leur mot à dire à ce sujet, verraient leur rôle réduit ?
Exactement ! Si les gouvernements nationaux gagnent en influence, les régions risquent de perdre la leur. Vasco Alves Cordeiro, président du Comité des Régions, insiste sur l'importance des régions et des villes dans la gestion des fonds européens et déplore la diminution de leur rôle dans la politique de cohésion. Cela signifie que le niveau de gouvernance le plus proche des citoyens, mieux placé pour une gestion efficace des fonds, pourrait être marginalisé au profit de la centralisation. Marie-Antoinette Maupertuis, également représentante du Comité des Régions, a rappelé, lors d’une rencontre avec des députés européens à Bruxelles, la nécessité d’inclure les autorités locales dans les décisions. De son côté, Tony Murphy, président de la Cour des comptes européenne, bien qu’en faveur d’une plus grande efficacité, s’inquiète de la création d’un fonds unique, soulignant l’importance de conserver une gouvernance à plusieurs niveaux pour respecter le principe de subsidiarité.
Cette approche cherche à simplifier le financement, mais pourrait entraîner des retards, comme on l'a vu avec la Facilité pour la reprise et la résilience, où le financement était conditionné à des critères comme le respect de l’État de droit. La Pologne, par exemple, a vu ses fonds gelés pendant deux ans à cause de préoccupations sur l'indépendance du système judiciaire, ce qui a retardé le délai de dépense initialement prévu pour 2026. Ces retards pourraient pénaliser l’accès des régions aux financements nécessaires.
Quoi qu'il en soit, rappelons que ces discussions ne représentent pas encore une proposition officielle pour le futur Cadre Financier Pluriannuel, mais un projet débattu dans la bulle européenne. Si l’objectif est de rendre le budget plus flexible et efficace, la possible réduction de l’influence régionale et le renforcement des conditionnalités suscitent des craintes, notamment pour la politique de cohésion, alors que la défense prend une place croissante dans les priorités. L'équilibre entre simplification, efficacité et maintien de la voix des régions sera donc crucial pour la version finale du Cadre Financier Pluriannuel 2028-2034.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.