Tous les mois, retrouvez Alix Frangeul-Alves sur Euradio avec Courants transatlantiques, la chronique qui décortique l’actualité et le futur des relations entre l’Europe et les Etats-Unis.
Bonjour Alix, vous êtes spécialiste en politique américaine au German Marshall Fund of the United States, et aujourd’hui vous souhaitiez nous parler des développements récents liés aux négociations commerciales entre l’UE et les États-Unis, mais aussi des implications stratégiques pour l’Europe. Quels sont les enjeux principaux de cet accord ?
La fin novembre 2025 a marqué une nouvelle étape pour l’accord commercial du 27 juillet entre Bruxelles et Washington qui redéfinit les ambitions d’autonomie stratégique de la Commission européenne. Pour concrétiser ce deal politique entre Ursula von der Leyen et Donald Trump, des officiels américains et européens se sont réunis à Bruxelles.
En réalité, cet accord est loin d’être un simple traité tarifaire ; il gravite autour d’enjeux plus larges, énergétiques, numériques et géoéconomiques. L’administration en place, caractérisée par une approche transactionnelle, cherche à négocier avec l’Europe pour qu’elle assouplisse sa réglementation du numérique, conditionnant les baisses de droits de douane américains sur l’acier et l’aluminium. En parallèle, l’Europe s’engage à augmenter ses achats énergétiques et ses investissements dans l’économie américaine.
Et concrètement, qu’est-ce que cela implique ?
Cet accord vient renforcer un rapport de force en faveur des Etats-Unis et accroît la dépendance de l’Europe envers Washington. Actuellement, la barrière tarifaire américaine demeure à 15% pour la plupart des exportations européennes vers les États-Unis, tandis que la taxe sur l’acier et l’aluminium originaires de l’UE demeure à 50% ; ce qui impacte directement les industries européennes telles que le secteur automobile. En parallèle, les produits américains bénéficient d’un accès privilégié au marché européen, bien que cet accès reste encadré par des contingents et des règles très spécifiques.
En ce qui concerne les achats d’énergie américaine, déjà 55% du GNL importés dans l’UE provient des Etats-Unis en 2025. Est-ce un risque pour l’autonomie européenne ?
Tout à fait, Laurence. Le commissaire européen au commerce, Maroš Šefčovič (maroch CHEF-tcho-vitch), a réitéré que l’UE importerait 750 milliards de dollars d’achats d’énergie américaine sur trois ans, soit plus que triplant les importations actuelles de GNL et de pétrole américains. À titre comparatif, le total des exportations d’énergie américaines se trouvaient autour de 700 millions d’euros en 2024. Bruxelles décide donc de prioriser une sécurité géopolitique de court-terme en faisant des concessions face à Washington, à l’encontre des ambitions de résilience économique et de transition énergétique européenne.
Par ailleurs, le 3 décembre 2025, la Commission européenne et la haute représentante Kaja Kallas ont communiqué leur vision pour implanter la stratégie de sécurité économique européenne alors présentée en 2023. Cette communication met notamment l'accent sur la résilience économique européenne face à l’utilisation des interdépendances en armes géopolitiques et géoéconomiques. Il ne me semble pas que ce soit la stratégie adoptée dans la construction de l’accord commercial avec les Etats-Unis…
Il est tout de fois indéniable que l’Europe se trouve dans un contexte géopolitique qui lui est défavorable, ce que la présidente de la Commission a quelque part confirmé en affirmant que cet accord était, je cite, « le meilleur qu’on pouvait obtenir ». Bruxelles avance donc prudemment, sans tactique transactionnelle forte et écartelée entre trois enjeux stratégiques : les répercussions économiques d’une guerre commerciale avec les Etats-Unis, le maintien des garanties de sécurité américaines en Ukraine, et le tiraillement entre Pékin et Washington.
Quelles perspectives pour l’UE ?
Le risque est que ce deal commercial devienne un exercice de damage control plus qu’un partenariat stable, avec l’apparition de "mini-accords" fragiles et évolutifs. À court terme, cela présente des risques de dépendance accrue et une instabilité tarifaire ; à moyen terme, Bruxelles pourrait dégager des opportunités si l’UE diversifie ses partenariats. Toutefois, l’asymétrie actuelle semble profiter davantage aux États-Unis, qui bénéficient du contexte énergétique post-Ukraine et de son rôle central dans la sécurité et la défense du continent européen. Cette articulation entre enjeux commerciaux, énergétiques, numériques et sécuritaires est une tendance qui perdurera au moins jusqu'à la fin du mandat de Donald Trump.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.