Chaque mercredi sur euradio, Patricia Solini nous partage sa passion pour la culture contemporaine sous toutes ses formes. Théâtre, danse, littérature, peinture... À consommer sans modération !
De retour de Rome, vous souhaitez nous raconter la visite du musée d’art contemporain de Rome, le Macro
Au-delà de ses pierres antiques ou baroques, tout à fait passionnantes et sillonnées par les masses de touristes, en nage, en cet été indien caniculaire, il est reposant de faire un pas de côté et d’aller visiter au frais les deux musées d’art contemporain, le Macro et le MAXXI dont se pare la ville éternelle.
Aujourd’hui je vous parlerai du Macro, situé à l’est de la cité, qui doit son extension en 2010 à Odile Decq, architecte punk française, bien connue dans l’ouest car elle est la conceptrice du FRAC Bretagne, Fonds Régional d’Art Contemporain, à Rennes. En rouge et noir, comme le chante Jeanne Mas, c’est sa marque de fabrique à Odile Decq. On y retrouve les angles et les passerelles, le monolithe rouge, cœur de la bâtisse, abritant la salle de conférence et une immense terrasse ouverte sur les immeubles 19ème romains. Les toilettes, qu’il faut chercher du côté de la boutique, sont extraordinaires, on se croirait en boîte de nuit, bloc-lavabo qui s’éclaire de rouge à votre entrée, reflété par les portes en aluminium et le mur du fond en miroir provoquant une mise en abyme en rouge et noir, c’est renversant !
Et puis il y a les expositions.
Qu’avez-vous donc découvert dans ce musée en dehors des toilettes extraordinaires ?
Il faut se laisser mener et se perdre en prenant « les sentiers qui bifurquent », selon les mots de Borges pour approcher le projet du Macro pour les quatre années à venir : « Museo per l’imaginazione preventiva ». Il faut imaginer le musée comme un magazine en 3 dimensions, développé autour de thèmes et de formats divers, comme un vaste puzzle à compléter. Nous ne sommes pas dans la contemplation mais bien dans la participation et l’implication du spectateur avec l’institution.
Nous nous baladons ainsi dans différentes salles aux murs blancs où chacune propose un projet spécifique immersif. Ainsi « Retrofuturo. Appunti per una collezione » (Rétrofutur. Notes pour une collection) est une espèce de millefeuilles artistique où la photographe Giovanna Silva a choisi de photographier en noir et blanc des œuvres de la collection du musée accrochées sur les grilles dans les réserves qu’elle a ensuite fait imprimer sous forme de papier peint géant.
Ces photographies traversant cent ans d’histoire de l’art italienne servent de background, de support à des œuvres de jeunes artistes italiens actuels. C’est un palimpseste dans l’espace où diverses générations d’artistes se superposent reflétant le rôle d’une collection publique d’art contemporain au 21ème siècle. Si j’ai bien compris, ce projet va durer trois ans, et on assistera à la constitution d’une collection in progress, qui se développera au fil du temps. Sculptures, céramiques, vidéos, son, échangent avec leurs pairs et c’est vivifiant.
Vous avez également retrouvé des artistes bien connus eux aussi du côté de Nantes.
Il s’agit de Daniel Dewar et Gregory Giquel, le duo franco-britannique invité en 2017 par le Voyage à Nantes. Ils avaient investi le cours Cambronne et la HAB Galerie de leurs sculptures réalisées à quatre mains, en marbre, en grès ou en granit. Leur œuvre va à l’encontre de Marcel Duchamp et son urinoir manufacturé, posé à l’envers, baptisé Fontaine et signé R. Mutt. Le ready made était né, c’était en 1917 !
Nos deux artistes s’attellent eux à réaliser à la main avec des techniques artisanales des objets normalement manufacturés par exemple comme le mobilier sanitaire du type bidet, vasque ou cuvette wc qu’ils affectionnent !
Invités de nouveau en 2021, on peut voir une installation pérenne de Dewar et Giquel sur une plage à Saint Nazaire intitulée « Le pied, le pull-over et le système digestif », trois sculptures monumentales modelées en argile, puis moulées et tirées en béton.
Au Macro sur quatre tables en longueur recouvertes d’un tissu vert du genre salle d’opération, le duo réitère ses obsessions et présente bien alignées des sculptures de bidet, de vasque, de plat à la Bernard Palissy et de jarres hautes en forme de pied. Mais ici elles sont en céramique après modelage en argile à la main et cuisson dans un four à bois. Certaines semblent dégouliner encore d’argile liquide. C’est le choix de la pièce originale avec ses particularismes, opposée à l’objet industriel réalisé en série. Ça parle de l’homme, de l’uniformisation, de la diversité, de la nature, du faire.
Et enfin vous avez découvert le travail d’un artiste-architecte russe.
Il s’agit d’Alexander Brodsky, né en 1955, membre de l’Ecole d’Architecture de Papier de Moscou. Pratiquant l’architecture povera, à base de dessins, de papier ou d’éléments trouvés pour une architecture d’imagination, l’artiste invente des structures narratives. Une dizaine de petites tables en bois éclairées par des lampes d’architecte servent de support à des paysages réalisés en argile crue, faits de colonnes, de constructions, de traces, de lignes, de boudins, des pyramides, des formes de têtards, des écritures, des incisions, des cheminées, des sépultures quelquefois un objet comme un encrier, un bout de verre, des poissons séchés se glissent dans l’échafaudage.
Qu’est-ce que ça raconte ? Ce sont des environnements inventés, voire fantasmés, mais on pense aux ruines de Pompéi ou aux vestiges antiques de Rome, à l’Egypte ancienne, à des sites industriels abandonnés.
C’est fragile et comme c’est en argile, ça redeviendra poussière.
Un entretien de Laurence Aubron.