Le bloc-notes d’Albrecht Sonntag

L'édito d'Albrecht Sonntag 19.10 : " La deuxième jeunesse du drapeau européen "

L'édito d'Albrecht Sonntag 19.10 : " La deuxième jeunesse du drapeau européen "

L'édito d'Albrecht Sonntag 19.10 : " La deuxième jeunesse du drapeau européen "

La deuxième jeunesse du drapeau européen

Qui aurait pensé, il y a un an seulement, que le drapeau bleu européen, avec ses douze étoiles, ferait une telle carrière en 2017 ? En Roumanie, il a été utilisé massivement pour dénoncer la corruption des élites politiques locales. En France, il a connu une deuxième jeunesse dans la campagne d’Emmanuel Macron, en tant qu’emblème d’une France optimiste et ouverte au monde. En Pologne ou Hongrie, il est brandi par des citoyens pour rappeler les valeurs fondamentales de l’Etat de droit et de la séparation des pouvoirs à des gouvernements en dérive « illibérale », voire sectaire. A Londres, il a été célébré lors de marches citoyennes par tous ceux qui ne veulent se résoudre à la fatalité du Brexit ou du moins en dénoncer la folie. Sans oublier la multitude des initiatives décentralisées de Pulse of Europe qui ont poussé comme des champignons. Elle est surprenante, cette redécouverte de la puissance symbolique de ce drapeau. Et il n’est que normal qu’elle n’ait pas été au goût des mouvements pour qui l’existence même de l’Union européenne représente un affront contre la souveraineté nationale. On se souvient du Tweet de Florian Philippot qualifiant le drapeau de « torchon oligarchique » ; et ces dernières semaines, ce sont les députés de la France insoumise qui ont lancé une polémique contre son symbolisme prétendument religieux et, par conséquent, incompatible avec la laïcité à la française. En réaction, Emmanuel Macron a décidé de le reconnaître officiellement en signant au Conseil européen d’aujourd’hui la déclaration 52 annexée au traité de Lisbonne qui reconnaît le drapeau comme l’un des symboles d’une « appartenance commune » librement choisie. Cette reconnaissance ne mettra pas fin aux polémiques, mais on peut présumer sans grand risque que le drapeau européen a de beaux jours devant lui. C’est qu’il remplit deux conditions nécessaires pour faire carrière en tant que symbole :
  • D’une part, il bénéficie d’un taux de notoriété très élevé. Il est très présent dans l’espace public – sur les plaques d’immatriculation, sur les panneaux des chantiers d’infrastructure, sur les billets de banque) – et il est ainsi devenu un raccourci très commode pour les caricaturistes ou les illustrateurs dans tous les médias.
  • D’autre part, il possède un caractère « flou », ce qui est un atout indispensable. Il peut être investi, par ceux qui le brandissent, de significations sémantiques diverses et variées, en fonction des lieux et des circonstances.
Il n’en reste pas moins qu’un tel drapeau est un emblème à double-tranchant pour l’entité politique qu’il représente. Comme nous a enseigné l’histoire du nationalisme, les drapeaux ont quasiment toujours été des outils de la construction identitaire dans un projet élitiste, souvent artificiel. On peut se demander si l’Union européenne, qui n’est pas un Etat-nation classique et n’a pas vocation d’en devenir un, a vraiment intérêt à s’inspirer, dans l’environnement médiatique d’aujourd’hui, des mécanismes du « nation-building » du XIXème siècle. Qu’il me soit permis d’en douter. Qui plus est, les symboles politiques ne sont pas que des représentations, mais aussi des promesses. Ils cristallisent une aspiration collective, expriment une vision de l’avenir ; ils possèdent ce qu’on peut appeler une « dimension téléologique ». Or, comme partout en politique, rien n’est plus porteur de désillusion, de désenchantement, de dégoût que les faux espoirs suscités par des promesses qui ne sont finalement pas tenables. Par le drapeau, l’Union se donne des allures d’Etat, suscite des attentes implicites. La deuxième jeunesse du drapeau européen dont témoignent les usages mentionnés en début de cette chronique est une surprenante attaque spontanée contre le traditionnel « monopole symbolique et affectif » de l’Etat-nation. On peut dire sans exagérer que nous sommes en train de vivre un moment inédit dans le processus d’intégration européenne. L’Union européenne serait cependant bien avisée de résister à la tentation d’exploiter le filon. Pas la peine de mettre les couleurs européennes à toutes les sauces, comme le font ceux qui réclament par exemple une équipe olympique européenne. L’identité européenne ne se laissera pas imposer d’en haut comme les identités nationales du XIXème siècle. Si elle doit advenir, elle naîtra d’en bas. L’appropriation spontanée du drapeau par les citoyens, comme en Roumanie, Pologne ou Angleterre, l’exprime mieux que toutes les déclarations officielles.

Albrecht Sonntag, 19 octobre 2017

Albrecht Sonntag, professeur à l’EU-Asia Institute de l’ESSCA Ecole de Management et membre d’Alliance Europa.

Albrecht Sonntag est professeur à l'EU-Asia Institute. Docteur en sociologie, il travaille sur les dimensions multiples du processus d’intégration européenne. Albrecht est également membre de l'Alliance Europa, consortium universitaire interdisciplinaire en Pays de la Loire.

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