Chaque semaine, Albrecht Sonntag, de l’ESSCA Ecole de Management à Angers nous fait part de son bloc notes, et nous renseigne sur les grands sujets européens.
Après vous être mis, la semaine dernière, à la place des jeunes de 20 ans d’aujourd’hui, non sans empathie pour ceux qui choisissent le chemin des actions choc pour réveiller les consciences, vous adoptez cette semaine la perspective des pays pauvres de l’hémisphère sud, qui se font entendre à la COP27.
Et c’est bien normal qu’ils saisissent l’occasion de se faire entendre, car cette grande conférence annuelle, étalée sur deux semaines, est bien l’une des rares opportunités de dire leurs quatre vérités aux pays riches.
Il est vrai qu’on commence enfin à comprendre que celles et ceux qui émettent le moins de gaz à effet de serre sont ceux qui sont les plus exposés aux conséquences désastreuses du réchauffement climatique.
On peut même dire qu’ils sont les victimes de l’une des plus grandes injustices de l’histoire de l’humanité (qui n’en manque pas, soit dit en passant). Soixante ans après sa parution, la formule de Frantz Fanon, « Les Damnés de la Terre » – titre claquant d’un ouvrage extraordinaire – prend une toute nouvelle signification. On peut désormais la lire au sens littéral.
En Europe ou en Amérique du Nord, on a tendance à discuter de la meilleure manière de limiter les dégâts climatiques à venir – et il faut, bien sûr, intensifier les efforts dans ce domaine – mais pour les pays les plus impactés, il s’agit d’ores et déjà de savoir comment gérer les conséquences et s’adapter tant bien que mal à une nouvelle réalité.
C’est pour cette raison qu’en décembre 2015, lors de la COP21 à Paris, ces pays ont insisté à l’inclusion d’un accord sur ce qu’on appelle « les pertes et dommages », un plan de soutien financier significatif impliquant un transfert de solidarité entre les riches qui polluent et les pauvres qui suffoquent. C’était le prix à payer pour avoir un accord et, aurait-on envie de dire, c’était la moindre des choses.
Et ces engagements de 2015, ont-ils été respectés ?
« Engagement », c’est bien le mot clé. Il s’agissait effectivement de promesses, d'un montant global de 100 milliards d'euros par an, et tous les pays riches concernés avait cinq ans pour s'y préparer.
Or, non seulement, les actes n'ont pas été à la hauteur des paroles, mais les besoins réels s'avèrent bien plus élevés, en raison de l’accélération du réchauffement.
Les pays en voie de développement les plus concernés réclament donc, à juste titre, un plus grand effort de la part des pays industrialisés qui, certes, se mettent à décarboniser leurs économies, mais qui sont loin d’avoir inversé la courbe des émissions qui sont à l’origine du changement climatique.
Évidemment, ces demandes tombent dans un contexte où les pays riches se battent déjà avec les coûts de la pandémie, des plans de relance divers, la compensation d'une inflation galopante, des investissements sans précédent à effectuer dans la transition énergétique pour eux-mêmes, et, pour un certain nombre d'entre eux, une guerre à co-financer.
Oh, je ne vous sens pas très optimiste pour une solution satisfaisante…
Ce serait franchement étonnant que les États développés soient d'humeur de jouer les donateurs généreux, au-delà des paroles.
Il est plus probable qu'ils s'accusent l'un l'autre, se pointent du doigt mutuellement, ou renvoient à des échelons supérieurs du multilatéralisme mondial qui, à leur grand regret – en fait : à leur grand soulagement – n'arrivent pas à s'entendre pour imposer un cadre à tous.
Les États-nations sont programmés à la compétition. C'est leur seconde nature, qu'ils imposent à leurs dirigeants, même les plus clairvoyants, et qui revient au galop, même quand ils ont l'intention sincère de coopérer. L'Europe, en dépit de son succès historique remarquable, en fournit la preuve depuis des décennies.
Mais il va bien falloir qu’on trouve le chemin d’une justice climatique à l’échelle mondiale !
Vous avez bien raison : le dérèglement climatique, ressenti de manière disproportionnée par celles et ceux qui n'y sont pour rien – ni aujourd'hui, ni historiquement – oblige tout le monde à se mettre autour de la même table.
Et cela veut dire que nous ne pourrons échapper au règlement des comptes qui nous sera demandé. Car la dette climatique se rajouter à un autre dossier de dette jamais soldé : celui du colonialisme. N’en déplaise à celles et ceux qui fustigent la « repentance », c’est là une longue facture qui continue à peser lourd encore aujourd’hui : exploitation de ressources naturelles et humaines, oppression politique violente, spoliation culturelle sans vergogne, humiliation sociale et mépris raciste. Il est inévitable que cette dette soit présente dans les esprits au moment de présenter la facture climatique.
Vous voulez une justice climatique mondiale ? Dans ce cas, il faudra accepter que les accusé·es, c’est nous.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.