Le bloc-notes d’Albrecht Sonntag

Il y a dix ans seulement - Albrecht Sonntag

Il y a dix ans seulement - Albrecht Sonntag

Chaque semaine, Albrecht Sonntag, de l’ESSCA Ecole de Management à Angers nous fait part de son bloc notes, et nous renseigne sur les grands sujets européens.

Aujourd’hui, Albrecht, vous nous proposez un retour en arrière, un petit saut de 10 ans seulement, vers la fin de l’année 2012.

Oui, la rétrospective permet souvent de se rendre compte de la déconcertante accélération des choses. Dix ans, ça fait assez proche, et pourtant, c’est si loin ! Fin 2012, nous venions d’assister à la réélection de Barack Obama, sans que personne ne mette en doute la validité du scrutin. C’est dire que c’était une autre époque ! Il faut dire que le parti républicain, certes déjà en dérive idéologique n’avait pas encore été pris en otage par Donald Trump, dont personne n’envisageait sérieusement la candidature quatre ans plus tard.

On venait aussi de prendre note que le Parti Communiste Chinois s’était doté d’un nouveau secrétaire général du nom de Xi Jinping, destiné à être nommé Président de la République Populaire dans la foulée. Selon Le Monde, il paraissait « plus chaleureux et plus direct » que son prédécesseur. Bon à savoir.

En France, François Hollande, fraîchement élu quelques mois auparavant, voyait sans grande inquiétude la création et les premières manifestations de la « manif pour tous », qui avait pour vocation de fédérer l’opposition à la loi sur le mariage pour tous à venir, mais il encaissait déjà son premier revers sérieux avec l’affaire Cahuzac, ministre du budget et heureux titulaire d’un compte bancaire en Suisse, puis à Singapour.

Et dans l’entourage du Président, un jeune conseiller du nom d’Emmanuel Macron, faisait connaissance avec son premier bureau à l’Elysée, au quatrième étage. Je vous mettrai le lien vers un savoureux portrait de cet inconnu paru dans le Nouvel Obs en décembre 2012.

Dix ans seulement ! Le moins qu’on puisse dire est qu’il y a eu du changement depuis. Et quand je pense qu’euradio n’avait que cinq ans à l’époque…

Ça grandit vite, les enfants. Voyant ce que vous mettez aujourd’hui sur les ondes et en ligne, c’est tout de même un développement remarquable. Laurence, vous souvenez-vous encore qui présidait, en décembre 2012, la Commission européenne, le Conseil, et le Parlement.

Oui, bien sûr, on citait souvent leurs noms dans nos programmes. A la Commission, ce n’était pas encore Jean-Claude Juncker, mais son prédécesseur, José Manuel Barroso. Le Parlement était présidé par le social-démocrate allemand Martin Schulz, et le Président du Conseil était une fonction toute neuve, introduite par le Traité de Lisbonne. Le premier à occuper ce poste était le Belge Herman Van Rompuy.

Trois hommes, soit dit en passant. Aujourd’hui, deux de ces trois fonctions sont occupées par des femmes.

Et vous souvenez-vous ce qu’ils faisaient tous les trois début décembre 2012 ? Eh bien, ils allaient chercher, à Oslo, le prix Nobel de la Paix décerné à l’Union européenne. Une récompense surprenante, sans doute tout à fait justifiée au vu de la contribution de l’Union, comme le rappelait le comité, « à promouvoir la paix, la réconciliation, la démocratie et les droits de l'homme en Europe ». N’empêche qu’elle faisait un peu bizarre en même temps.

Pourquoi « bizarre » ?

C’est le moment qui était bizarre. En 2012, dans ses efforts désespérés de sauver l’Euro, l’Union était surtout vue à travers le prisme de la crise de la dette souveraine, l’austérité imposée à la Grèce, à l’Irlande, au Portugal.

Bizarre aussi, cocasse même, le comité qui lui a accordé cette reconnaissance prestigieuse. Un comité exclusivement composé de députés norvégiens, représentants d’un peuple qui a refusé à deux reprises par référendum de faire partie de cette même communauté.

Enfin, la cérémonie elle-même était curieuse, avec ces trois Messieurs plus ou moins empruntés, censés incarner une organisation qui, justement, se passe de personnification du pouvoir, contrairement aux Etats-nations. En même temps, François Hollande et Angela Merkel se sont laissé applaudir dans le public, en parlant de la future « croissance », ce qui, vous conviendrez, était parfaitement hors sujet.

Mais bon, à la limite, c’était peut-être l’intention du comité Nobel : rappeler au reste du monde que la crise économique et financière n’enlevait rien aux valeurs fondamentales défendues par cette communauté originale, qu’elle avait, dans la longue durée, plutôt réussi son coup, et que rien que sa survie, contre toute attente, méritait une récompense.

Et décembre 2022, dix ans plus tard, nous rappelle que sa mission est loin d’être accomplie.

C’est le moins qu’on puisse dire. « Paix, réconciliation, démocratie, droits de l'homme »,tous les acquis mis en avant par le comité Nobel, sont menacés en permanence. Les défendre de manière têtue, ça vaut bien un prix.

Et ce dixième anniversaire valait bien un édito commémoratif !

Entretien réalisé par Laurence Aubron