Le bloc-notes d’Albrecht Sonntag

Parti pour durer - Le bloc-notes d'Albrecht Sonntag

Parti pour durer - Le bloc-notes d'Albrecht Sonntag

Comme toutes les semaines, nous retrouvons Albrecht Sonntag, professeur à l’ESSCA Ecole de Management, à Angers.

La semaine dernière, nous avons évoqué le centenaire des partis communistes français et italien. Aujourd’hui, vous anticipez celui de leurs camarades chinois.

Qui ont fondé le leur en toute clandestinité le 23 juillet 1921, à Shanghai, dans le quartier de ce qu’on appelait « la concession française ». Mao Zedong, 27 ans à l’époque, y participa, de manière plutôt discrète paraît-il. 22 années plus tard, en mars 1943, il en prit les rênes, et depuis le 1er octobre 1949, le parti communiste chinois, le PCC, prit le pouvoir pour ne plus l’abandonner depuis.

Est-il exagéré de le considérer comme le parti politique le plus puissant de la planète ? Un parti au sein duquel se prennent des décisions qui ont un impact sur nous tous, à l’autre bout du monde, concernant des domaines très différents comme notre économie, le climat, mais aussi l’avenir de la démocratie et des droits de l’homme ?

Il est vrai que contrairement à ses homologues européens, le PCC ne connaît pas la crise !

On peut même dire qu’il est plus fort que jamais. Avec 90 millions de membres, ce parti est plus peuplé, si on peut dire, que n’importe lequel des 27 Etats-membres de l’Union européenne. Cela reste inférieur aux 110 millions d’adhérents du BJP, le parti nationaliste hindou de Narendra Modi en Inde, mais contrairement à ce dernier, il n’a pas à affronter des élections, mais exerce un contrôle quasi-total sur l’Etat, au point de se confondre avec lui. Et c’est ce qui sera aussi fortement souligné lors des célébrations du centenaire en juillet prochain.*

Pour nous, vu d’Europe, cela reste tout de même très opaque. Pendant que les Etats-Unis étalent leurs conflits et les dysfonctionnements de leur démocratie aux yeux du monde entier, on n’a aucune idée de comment sont prises les décisions du PCC.

C’est vrai qu’il y a une grande opacité, même si la recherche académique sur la Chine contemporaine a bien identifié les différentes factions qui s’opposent au sein du parti et dans les organes politiques de la République populaire. Ce n’est pas un monolithe. Et le parti est loin d’être un immense paquebot difficile à naviguer. Au contraire : de nombreux ouvrages et travaux de think-tanks ont démontré à quel point il peut faire preuve de flexibilité et de capacité d’adaptation dans ses politiques.

Y compris dans ses orientations idéologiques. Vu l’essor économique de la Chine et les pratiques de ses grandes entreprises, on peut se demander ce qu’il reste de « communiste » dans tout cela !

On entend effectivement souvent que le parti communiste chinois serait devenu le chantre d’un capitalisme effréné depuis la « politique de la réforme et de l’ouverture » initiée et mise en œuvre par Deng Xiao Ping depuis 1979.

Mais c’est faux. Je recommande la lecture du récent ouvrage de la sinologue Alice Ekman, intitulé Rouge vif, publié par les Editions de l’Observatoire et lauréat du prix du livre géopolitique 2020. Sur la base d’une fine analyse de discours et d’une multitude de rencontres tant officielles qu’informelles, elle y démontre à quel point le PCC s’inspire et se réclame encore aujourd’hui non seulement du Maoïsme mais aussi du Marxisme. Et à quel point semble intériorisée par les cadres du parti l’idée que le développement actuel de la Chine ne représente qu’une étape transitoire sur le chemin du véritable communisme « à caractéristiques chinoises », comme le veut l’expression consacrée.

Sur ce chemin, l’Occident et ses valeurs universelles ne sont, au mieux, qu’un obstacle qui s’y dresse mais qui reste facilement contournable, au pire, un ennemi idéologique aux intentions néocolonialistes indécrottables qu’il s’agit de combattre avec ses propres moyens. Alice Ekman a une grande sensibilité pour les nuances sémantiques avec lesquelles le PCC discrédite, voire dénigre, les idées mêmes de « droit de l’homme », de « société civile », ou même de « journalisme ». Des concepts qui vont de soi pour nous, des piliers de la démocratie, mais qui sont déclarés « outils politiques nuisibles » par l’idéologie officielle du parti.

Plus que sur le plan économique, c’est peut-être sur le plan linguistique justement, celui de la distorsion du sens des mots, du grand relativisme sémantique, que réside le plus grand défi que le parti communiste chinois, ce centenaire drôlement bien portant, nous lance pour les décennies à venir.

Ce qui donne à des médias comme le nôtre une sacrée responsabilité !

Que vous saurez assumer, je n’en ai pas le moindre doute !

Interview réalisée par Laurence Aubron

*Lien vers la vidéo de propagande diffusée par CGTN, le canal international de la télé d’Etat chinois, à l’occasion du 99ème anniversaire du parti l’an dernier.

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