Retour à l’antenne de nos éditorialistes cette semaine, et comme tous les jeudis en fin d’après-midi, nous retrouvons l’édito d’Albrecht Sonntag, de l’ESSCA Ecole de Management. Bonjour !
Alors, depuis la dernière fois que nous nous sommes parlé, quel sujet d’actualité a retenu votre attention pour votre chronique politique ?
Ce ne sont pas les sujets qui manquent, mais celui qui domine tous les autres, c’est bien entendu le coronavirus ou COVID-19, pour être plus précis. Quelques semaines seulement après avoir souhaité « Bonne année ! Bonne santé ! » à toute personne croisant leur route, les Français se demandent si 2020 ne leur donnera finalement ni l’une ni l’autre.
Mais au-delà des polémiques partisanes habituelles sur la gestion de crise, cette épidémie annoncée renvoie à un sujet éminemment politique : l’égalité devant le risque de la maladie. L’accès aux soins de santé pour tous, c’est peut-être l’un des derniers consensus inébranlables de notre époque. En dépit d’une polarisation idéologique accrue, il transcende les clivages politiques, et il a résisté à quatre décennies de marchandisation du monde portée par le dogme néolibéral de la primauté des marchés sur l’Etat.
Et il a l’air d’être partagé, ce consensus, au-delà de nos frontières.
C’est vrai. Si le prisme reste toujours national, le principe est européen. Les Français ont souvent l’air un peu surpris d’apprendre que leur sécurité sociale, qui leur semble unique, existe aussi, dans des versions très similaires, chez leurs voisins européens.
J’irais même plus loin. L’assurance maladie pour tous, c’est même l’une des caractéristiques de notre mode de vie qui nous rend profondément européen. D’ailleurs, la seule fois qu’on entend l’adjectif « European » lors de la campagne électorale aux Etats-Unis, c’est quand il est question du système d’assurance maladie mis en place par Barack Obama et que Bernie Sanders, en bon socialiste qui s’assume, veut rendre 100% public. En amont du « Super-Tuesday » de mardi dernier, le chef des Républicains du Texas a qualifié la proposition d’un système de santé à l’européenne d’ « idées d’extrême gauche ».
Pour un Européen, un tel jugement fait sourire. Même les Anglais, pourtant promoteurs infatigables d’un libéralisme fondé sur la responsabilité individuelle, considèrent leur National Health Service comme un véritable « trésor national ». Dans un récent sondage sur ce dont les Britanniques se déclarent le plus fiers, il obtient 87% d’approbation, très loin devant la famille royale ou la BBC, sans même parler du parlement…
Vous vous souvenez peut-être des infirmières et des lits d’hôpitaux en pleine cérémonie d’ouverture des J.O. de Londres en 2012 ? Cela a dû sembler très bizarre à plus d’un téléspectateur américain ou asiatique. A titre personnel, j’ai beaucoup apprécié. Un pays qui se définit par son système de santé, cela me convient très bien.
Et pourtant, les Anglais, comme les Français ou les Allemands et leurs voisins ont tous l’impression que leur système de santé ne va plus très bien.
Et ils ont raison ! Même si leur taux de satisfaction de la qualité des soins reste très élevé, comme le démontre le baromètre de santé Odoxa.
Cette impression de déclin est liée à l’histoire des sept dernières décennies.
Les Etats-providence européens sont nés dans l’après-guerre, portés par un désir profond de sécurité qui s’exprimait autant dans les politiques étrangères ou de défense que dans les politiques sociales. Mon collègue Thomas Hoerber s’est donné le mal d’éplucher l’intégralité des débats parlementaires – houleux – de l’époque en France, en Allemagne et au Royaume-Uni, et il en a retenu que la mise en œuvre d’un Etat-providence n’était pas seulement une réponse aux inégalités sociales dénoncées par la gauche, mais aussi un gage pour la survie même du régime capitaliste, vu que le communisme, malgré tous ses travers, était considéré comme plus efficace dans le domaine de la couverture de santé.
C’est à cette époque qu’est né, difficilement, ce qui nous semble aujourd’hui l’incarnation même de la cohésion nationale et de la solidarité. Il n’est guère surprenant que le baromètre de la confiance politique du CEVIPOF place les hôpitaux clairement en première place (page 41 ici).
Aujourd’hui, pour les raisons les plus diverses, à la fois politiques et économiques, technologiques et médicales, cet édifice de l’après-guerre souffre, partout. Depuis les années 1970, les symptômes de cette fragilité sont de plus en plus visibles. Il n’y a pas, à ma connaissance, de système de santé en Europe qui ne manque pas de moyens, qui ne se sente pas étranglé par des tentatives technocratiques de maîtriser les coûts financiers, qui ne soit pas traversé par la peur de ne plus tenir la promesse de cette égalité fondamentale qui fait sa raison d’être.
C’est inquiétant, mais la crainte du déclin de cette institution a aussi quelque chose de rassurant, car elle démontre que les citoyens continuent à voir dans leurs systèmes de santé respectifs un enjeu hautement symbolique, porteur d’un idéal de société non-négociable. Le dirigeant ou parti qui sera perçu comme le fossoyeur de l’hôpital public n’aura pas un grand avenir devant lui.
Conclusion :
Puisse le coronavirus rappeler cette simple vérité à nos dirigeants.