L'Europe et le monde

Tensions transatlantiques : l’Europe face au tournant américain

Tensions transatlantiques : l’Europe face au tournant américain

L’Europe est composée de différents acteurs (États, entreprises privées, organisations internationales…) qui jouent un rôle majeur dans les relations internationales. La série « L’Europe et le Monde » sur euradio cherche à éclairer l’auditeur sur certains aspects de la place du Vieux continent sur la scène internationale.

Cette semaine les américains ont publié leur feuille de route en matière de sécurité nationale. Qu’est‑ce que cette nouvelle doctrine change pour l’Europe ?

En réalité, ce document ne fait que retranscrire sur papier la politique de l’Administration Trump dont on a été témoin tout le long de cette année. Les États‑Unis redéfinissent leur vision du monde. Ils assument une ligne clairement unilatérale : l’Amérique d’abord. Washington ne considère plus l’Union européenne comme un partenaire naturel allant de soi. Elle la voit comme un continent affaibli, trop réglementé, et menacé selon eux d’un « effacement civilisationnel ».

Donald Trump parle beaucoup des questions migratoires, du déclin européen. Pourquoi ce discours maintenant ?

Parce qu’il sert un double objectif politique. D’abord, le président américain s’adresse à sa base intérieure en dénonçant une Europe trop ouverte et trop normative. Ensuite, il justifie une pression sur l’UE pour qu’elle modifie en profondeur ses politiques, du numérique à la défense. Ce discours prépare la mise sous tension de la relation. Et l’amende européenne contre X a été l’élément déclencheur : elle a permis à Washington d’accuser Bruxelles de « censure » et de « dérive autoritaire ». C’est un prétexte, mais il est utilisé comme moteur politique.

Justement, pourquoi les réactions américaines ont-elles été si virulentes au sujet de cette amende ?

Parce qu’elle tombe au moment parfait pour lancer une offensive idéologique. Des membres du gouvernement américain, et surtout Elon Musk, ont présenté la sanction comme une “attaque contre le peuple américain”. Washington transforme un règlement technique – le DSA – en conflit civilisationnel. L’objectif est clair : affaiblir la légitimité de l’Union européenne. Et c’est inédit de voir une administration américaine défendre aussi frontalement une entreprise privée contre une décision souveraine de l’UE.

Et du côté européen, comment réagit-on ?

Avec prudence, parfois trop. On veut éviter toute escalade. La Commission européenne, elle, tente la désescalade, car elle craint les répercussions commerciales et militaires. Mais cette prudence crée une vulnérabilité politique : l’Europe apparaît divisée, hésitante, et cela renforce la position américaine.

Cette feuille de route américaine donne l’impression que Washington n’a plus confiance dans la capacité de l’Europe à être un allié solide. C’est le cas ?

Oui, clairement. Les États‑Unis considèrent que l’Europe n’investit pas assez dans sa défense, qu’elle se fragilise par ses politiques migratoires, et qu’elle dépend trop des institutions supranationales. Dans la doctrine américaine, l’Europe doit redevenir “une Europe de nations souveraines”, alignées sur la politique américaine. C’est une vision très éloignée de l’intégration européenne.

Concrètement, quels sont les risques pour l’Europe ?

Il y en a trois majeurs.

D’abord, le risque géopolitique : si les États-Unis se désengagent, même partiellement, l’Europe devra assumer davantage sa sécurité, notamment face à la Russie.

Ensuite, le risque économique : Washington veut ouvrir davantage les marchés européens aux entreprises américaines tout en protégeant agressivement les siennes.

Enfin, le risque politique : les États-Unis soutiennent les “partis patriotiques” européens, forces souverainistes critiques de l’UE. Or, c’est une ingérence directe dans la politique intérieure des États membres.

Dernière question : est‑ce que l’Europe est en train de perdre un allié historique ?

L’Europe ne perd pas un allié, mais elle perd une certitude. Pendant 70 ans, elle a cru que les États‑Unis seraient toujours là, quoi qu’il arrive. Aujourd’hui, Washington reste un allié, mais un allié transactionnel. Il ne soutient plus l’Europe par principe, mais seulement si cela sert directement ses intérêts. C’est un rapport de force nouveau. Et c’est pour cela que cette feuille de route est un tournant : elle oblige l’Europe à devenir autonome dans sa propre sécurité, dans son économie, et dans sa diplomatie.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.