Parlons Commission - les institutions européennes en questions

Alvaro Oleart – Les panels citoyens au service de la Commission ?

Alvaro Oleart Alvaro Oleart – Les panels citoyens au service de la Commission ?
Alvaro Oleart

Tous les mois, Lola Avril, docteure en science politique, discute avec un·e chercheur·se en sciences sociales pour mieux comprendre, à partir de ses travaux, le fonctionnement de la Commission européenne et sa place dans le processus décisionnel européen.

Dans cet épisode nous allons parler du développement d'un mode de légitimation par la participation des citoyens au sein des institutions, et pour en parler j'ai le plaisir de recevoir aujourd'hui Alvaro Oleart, chercheur FNRS au CEVIPO et à l'institut d'études européennes de l'université libre de bruxelles et auteur de l'ouvrage Democracy without politics in EU Citizen Participation publié chez Palgrave en 2023.

Alvaro d'abord qu'est ce que c'est que cette idée de participation directe des citoyens, quels en sont les dispositifs et pourquoi ils s'imposent, se développent progressivement au sein des institutions européennes ?

Je pense que depuis le Brexit en 2016, il y a vraiment eu une remise en cause de la légitimité de l'Union européenne en général, et de la commission tout particulièrement. À partir de 2016, une série de dispositifs de participation citoyenne a été développée, notamment en France et en Irlande. En 2018, les European citizen consultations ont été organisées par les Etats membres, et plus tard la conférence sur l’avenir de l’Europe a été organisée en 2020.

À partir de là, on voit en quelque sorte un nouveau type de représentation, différent de ce que l'on avait avant. Ce sont des assemblées, avec des membres tirés au sort, qui essaient d'être représentatifs de la population européenne pour donner des recommandations. La Commission européenne a alors repris cette idée en quelque sorte dans une idée de légitimation à partir de cette représentation que sont ces assemblées tirées au sort pour faire de nouveaux panels de citoyens.

Dans ta recherche, tu as suivi des panels citoyens et tu as fait de l'observation ethnographique et des entretiens. En quoi cette enquête qualitative permet de mieux comprendre leur fonctionnement et leur rôle ?

Pour l'instant, beaucoup de recherches sont faites sur les panels citoyens, mais peu partant d'une approche ethnographique. Cette approche permet de mieux comprendre la logique interne à ces mécanismes de participation, pour comprendre plus en détail cette lutte de pouvoir interne.

Quel est le rôle de la commission européenne dans l'organisation de ce dispositif ?

La Commission européenne est investie depuis de nombreuses années pour organiser ce genre d'initiative. Une des personnes clés pour introduire ce nouveau mécanisme est Gaëtan Ricard-Nihoul.

C'est ensuite que l'initiative est arrivée au niveau de Bruxelles. Une des boîtes française qui a organisé ce genre de consultations est Mission Publique.

La Commission a donc apporté cette approche dans l'idée de construire une légitimation qu'elle n'avait pas jusqu'alors. Elle fait compétition à la représentation traditionnelle des élections à travers ce tirage au sort.

Et justement dans tes recherches tu montres que derrière cette volonté affichée de se rapprocher des citoyens de renouveler la manière dont on pose ses décisions, en réalité il y a tout de même des formes de reproduction de la légitimation par la technocratie et l'expertise dans ces panels.

Oui tout à fait. L'idée de ces panels est en quelque sorte d'établir un lien direct entre institutions et citoyens. Depuis les années 2000, la Commission européenne a développé toute une stratégie de financement des acteurs intermédiaires, donc des organisations de la société civile, pour que soient représentés au mieux les intérêts européens des citoyens.

Cependant cela n'est pas arrivé, et donc ces acteurs de la société civile sont devenus en quelques sortes des lobbies qui ne fonctionnent qu'à l'échelle de Bruxelles et ne sont pas connus ailleurs dans les débats nationaux.

C'est dans la frustration de cette incapacité des institutions européennes de s'ouvrir au delà de Bruxelles que celles-ci essaient de trouver une façon différente de comprendre son rapport au citoyen, et donc établir un rapport plus direct.

Finalement, le problème est que cette représentation ignore tous ces acteurs syndicats, organisations de la société civile, mouvements sociaux, qui sont ceux pourtant qui pourraient avoir une perspective plus critique vis-à-vis de la Commission européenne.

Je crois me souvenir que tu parles de citoyens qui deviennent eux-mêmes des technocrates, et dont parfois les discussions sont organisées de sorte à avoir des biais néolibéraux. Tu développes le cas notamment du gaspillage alimentaire que tu as suivi. Est-ce que tu peux nous expliquer comment se traduisent ces biais ?

Ce type de participation citoyenne dépend beaucoup du cadrage de l'exercice. Dans le cas du gaspillage alimentaire, un débat d'experts avait été organisé devant le panel citoyen. Cependant, c'est la Commission qui a choisi les experts, venant de grandes multinationales du secteur alimentaire. Une des personnes de la société civile était financée par l'industrie, et une autre venait d'une banque alimentaire.

Ce débat a fait renforcer l'idée que le gaspillage alimentaire devait être résolu par l'individu et non dans une perspective plus structurelle. De fait on peut voir que tous ces débats ont été fortement influencés par un cadrage assez néolibéral du sujet.

Il va y avoir de nouveaux panels citoyens qui vont se tenir dans les prochaines semaines. Qu'est-ce que tu peux nous en dire ? Sur quoi vont-ils porter ?

En mars 2025 va commencer un nouveau panel citoyen sur le nouveau budget européen. Mais dans ce schéma actuel, je ne pense pas que celui-ci va apporter un changement, ou sinon, qu'il ne sera pas forcément positif.