Vous poursuivez cette semaine la thématique de la cause des femmes en politique, car vous nous parlez du plafond de verre.
Tout à fait, après avoir abordé la question de l’origine historique de l’exclusion des femmes en politique, il nous faut à présent poursuivre la réflexion autour des mécanismes actuels qui bloquent l’accès massif des femmes à des positions de pouvoir, ce qu’on appelle le plafond de verre. Cette image du plafond de verre représente le fait que dans le système politique, les niveaux supérieurs et les positions les plus hautes ne sont pas accessibles à une certaine catégorie de personnes, ici les femmes.
Alors qu’est-ce qui démontre l’existence de ce plafond de verre en politique pour les femmes ?
On pourrait mentionner de nombreux exemples illustrant l’existence de ce plafond de verre, mais je n’en mentionnerai que l’exemple le plus saillant. Au sein des pays de l’Union Européenne, alors que de nombreuses femmes sont parvenues à de nombreuses autres fonctions politiques, les chefs d’état et de gouvernement demeurent en grande majorité des hommes. À ce jour, seules 4 femmes se trouvent à la tête d’un État membre de l’Union européenne : les pays concernés sont la Slovaquie, la Hongrie, la Grèce, et la Slovénie ; et 6 femmes sont cheffes de gouvernement, avec la nomination d’Élisabeth Borne en France et l’élection récente de Giorgia Meloni en Italie.
Il existe une méthode assez drôle pour rendre compte visuellement de cela : prenez la photo officielle de n’importe quel rendez-vous politique international, qu’il s’agisse d’une réunion du Conseil européen, du G7 ou du G20, et retirez tous les hommes, pour ne faire apparaitre que les femmes. Vous verrez, la photo deviendra tout de suite très vide.
Mais quels sont les mécanismes qui sont à l’origine de ce plafond de verre et perpétuent cette exclusion des femmes de certains postes ?
Il existe tout un tas de blocage qui limitent les femmes dans leur vie politique et dans leur accession aux positions les plus dominantes.
Il y a tout d’abord les stratégies des partis politiques. Le parti constitue un point central dans l’accession possible à des postes importants car c’est lui qui est en charge des nominations pour les élections. Or, il a été démontré que les partis politiques placent les candidatures féminines dans les circonscriptions les plus difficilement gagnables, ce qui renforce le plafond de verre.
Ensuite, on retrouve une production symbolique de l’illégitimité des femmes en politique. Les campagnes présidentielles de Ségolène Royale et de Valérie Pécresse sont à ce titre éclairantes. 1 exemple : en 2007, Laurent Fabius ose demander à Ségolène Royale qui va garder les enfants si elle devient présidente de la République ; manière de légitimer la place de la femme au foyer, et non à l’Élysée. En 2022, Valérie Pécresse perdra en légitimité et verra ses prévisions de vote s’effondrer à cause d’un meeting raté car sa voix était mal positionnée et à cause de son manque d’éloquence.
Lorsqu’une femme est candidate, on perçoit une délégitimation qui n’a pas lieu lorsque les candidats sont des hommes, car les normes du politique ne sont pas neutres mais sont associées au masculin. Il est en effet très complexe pour une femme d’incarner le pouvoir et la puissance, car les normes qui lui sont rattachés sont le charisme, la combativité, la voix grave, et la virilité notamment ; soit des normes masculines.
Mais le plafond de verre existe également à cause du sexisme dont les femmes sont victimes en politique, n’est-ce pas ?
Oui : être une femme politique est très complexe au-delà même de la difficulté d’incarner symboliquement l’autorité et le pouvoir. Les remarques sexistes, la caricature dans les médias, les moqueries des collègues sur une robe trop fleurie, les dénominatifs de « folle » ou « d’hystérique » pour qualifier les femmes politiques. Tout cela ne représente qu’un millième de ce qu’une femme vit lorsqu’elle s’engage politiquement. Et bien sûr que tout cela, au fur et à mesure des années, ça fatigue. Alors oui, un jour, certaines femmes arrêtent leur engagement politique, et se demandent si elles ont vraiment envie de briser ce plafond, car peut-être que derrière, ça sera encore pire.
Pour briser le plafond de verre, il faudrait alors en finir avec l’ensemble des discriminations que subissent les femmes dans la sphère politique.
La prochaine fois que vous verrez une femme politique s’exprimer, ou que vous entendrez une remarque ou un commentaire fait à son encontre, demandez-vous s’il serait formulé de la même manière si cette personne avait été un homme.
Il faut que chacun de nous prenne conscience de cet inégal traitement des femmes en politique, et surtout dans la sphère médiatique, pour que cette partie du plafond de verre, qui est peut-être la plus inacceptable et la plus violente pour les femmes, cesse.
Éradiquons cette violence qui caractérise le monde politique : ces moqueries, ces railleries qui touchent tout particulièrement les femmes, car tout cela crée de l’exclusion. À cause d’elles, ne restent que les plus motivés dira-t-on, mais de fait, les plus dominants.
J’ai la naïveté de croire que cette masculinité hégémonique sur laquelle est fondée la figure de l’Homme politique n’est ni universelle, ni figée, ni immuable, ni définitive. Ne nous laissons pas aller à ce triste déterminisme. Ce pourrait peut-être être notre nouvelle révolution ?
Entretien réalisé par Laurence Aubron.