Vous nous parlez cette semaine de la place des femmes dans le numérique.
Oui, car en cette période où nous nous questionnons sur les enjeux du numérique et de l’intelligence artificielle, je souhaitais aborder ce sujet qui est rarement mentionné : l’absence des femmes dans le monde du numérique et de la tech.
Sachant que 57 % de l’ensemble des diplômé·es de l’enseignement supérieur sont des femmes, seulement 25 % ont obtenu un diplôme dans les filières du numérique, et seules 13 % d’entre elles travaillent dans le secteur du numérique. Et ces inégalités se retrouvent dans la plupart des pays européens.
Pourtant, les métiers du numérique sont les métiers de demain. Et si les femmes ne sont pas présentes aujourd’hui dans ce domaine, cela signifie que toute cette transition numérique se passera sans elles, et qu’on repart pour des années et des années d’inégalités.
Mais pourquoi les femmes sont-elles absentes de ce milieu ?
Il faut aller chercher du côté des choix d’orientation. Selon une enquête menée en 2021 par l’école informatique Epitech et Ipsos, seulement 33 % des filles sont encouragées par leurs parents à s’orienter vers les métiers du numérique, contre 61 % des garçons.
Cette même étude montre que 37 % des lycéennes envisagent de s’orienter vers une école d’informatique ou une école d’ingénieur, contre 66 % des garçons, c’est 2 fois plus.
Mais par contre, si on interroge les lycéennes sur leurs centres d’intérêts, elles sont quand même 56 % à dire qu’elles sont intéressées par l’informatique et le numérique. Ce n’est donc pas un manque d’intérêt qui explique l’absence des femmes dans ce domaine, mais bien un manque d’encouragement des filles à aller vers ces métiers, et ces écoles d’ingénieurs.
Et pourtant, cela n’a pas toujours été le cas, les femmes n’ont pas toujours été absentes de ce secteur …
Tout à fait. Les femmes ont même marqué l’histoire de l’informatique : le premier programme informatique a été créé en 1843 par une femme, Ada Lovelace.
De même, l’actrice et productrice de cinéma Hedy Lamarr a déposé en 1941 un brevet pour sécuriser les télécommunications ; brevet qui est d’ailleurs toujours en usage dans les liaisons wifi et bluetooth. Et la première thèse en informatique a été soutenue par une femme, Mary Keller.
Ainsi, de la Seconde Guerre mondiale et jusque dans les années 70, le milieu de l’informatique était paritaire. Seulement, dans les années 90, ce domaine devient un enjeu stratégique tant pour le secteur privé que pour le secteur public, les postes deviennent plus importants, ont plus de responsabilités, et se masculinisent donc massivement.
Quand on parle de l’histoire de la place des femmes dans le numérique, on parle donc bien d’un déclin, d’une régression, d’un recul.
Et quelles conséquences cette absence aura dans les années à venir. En quoi cette parité dans le monde du numérique est-elle essentielle ?
Déjà, avoir très peu de femmes dans le secteur du numérique et de la tech signifie qu’on se prive de nombreux talents.
Ensuite, si les nouvelles technologies du numérique ne sont créées que par des hommes, des biais de genre seront introduits dans ces technologies. En effet, si ce ne sont que des hommes qui créent des bases de données sur lesquelles va s’entraîner une technologie d’intelligence artificielle par exemple, cette base de données risque d’inclure des biais liés au genre de leur créateur, en n’étant pas représentatives par exemple. Et cela aura des conséquences très concrètes : si une technologie d’IA ne s’entraîne que sur des sujets masculins, elle sera demain, moins performante pour diagnostiquer une tumeur chez une femme. Avoir des équipes d’ingénieur·es diversifiées est donc essentiel pour avoir des technologies non biaisées.
Enfin, si on ne renverse pas rapidement la tendance, cela signifie que les inégalités de genre ne vont pas se réduire dans les années à venir, mais vont au contraire se multiplier, car les métiers du numérique et des nouvelles technologies seront essentiels dans les années à avenir, et seront donc des métiers de pouvoir. Il ne faut pas que ce pouvoir ne soit, une nouvelle fois, uniquement donné aux hommes.
J’en appelle à vous, mères, pères, sœurs, frères, ami·es, profs, ingénieur·e·s et à tous les acteur·rices du numérique : encouragez, ouvrez-des portes, ne les laissez pas fermées aux filles et aux femmes. Allez leur parler, sensibilisez-les, motivez-les. On n’a plus que besoin de vous pour ne pas voir reculer de 30 à 50 ans l’échéance possible de l’égalité femme/homme.
Mais surtout, vous, femmes de ce milieu de la tech et du numérique, vous avez le pouvoir d’ouvrir la voie de vos successeuses. Vous avez le pouvoir de montrer l’exemple. Une responsabilité pour la cause des femmes.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.