Vous nous parlez cette semaine de la place des femmes dans le monde médical.
Oui, car le monde médical est encore largement genré. Toute personne qui s’est rendue dans un hôpital a pu s’en rendre compte : les aides-soignantes sont des femmes, les infirmières sont bien plus nombreuses que les infirmiers, tandis que les chef·fes de service sont majoritairement des hommes. En d’autres termes, les postes en haut de la hiérarchie, soit les plus valorisés et rémunérés, sont occupés par des hommes, tandis que les métiers en bas de la hiérarchie et peu valorisés, sont majoritairement féminins.
On perçoit donc qu’il existe une division verticale genrée des postes dans le monde médical en général, qui s’accompagne de multiples inégalités de salaires, de reconnaissance, et de traitement.
Mais je vais m’intéresser aujourd’hui uniquement à la profession de médecins, car de nombreux mécanismes genrés sont à l’œuvre spécifiquement pour cette profession, qui, de prime abord, ne paraît pas particulièrement genrée.
Mais il y actuellement de plus en plus de femmes médecins en France, non ? Cela ne suffit pas pour qu’on parvienne à l’égalité des sexes ?
Alors, il est vrai que la profession de médecin s’est largement féminisée ces dernières années. Quelques chiffres pour illustrer cette progression : en 1913, la part des femmes docteur en médecine en France était de 6 %, tandis qu’actuellement, 44 % des médecins sont des femmes. Mais la plus grande progression n’est pas là : elle est visible dans les facultés de médecine. Lorsque l’on regarde le pourcentage de femmes étudiantes en médecine, il grimpe à 60 %. On perçoit donc une dynamique positive forte vers une féminisation de ce métier.
Cependant, cela n’est pas suffisant, car les femmes sont toujours sous-représentées parmi les postes à responsabilité. En 2021, 11 femmes sur 63 étaient chefs de service, ce qui représente 17 % seulement, tandis qu’uniquement 3 femmes sur 11 étaient chefs de pôle.
Et il ne faut pas oublier les mécanismes genrés qui ne sont pas uniquement verticaux.
Tout à fait, au-delà de la répartition verticale des rôles, on observe aussi une division horizontale des postes entre les médecins hommes et femmes. Cela signifie que les étudiants et les étudiantes en médecine ne s’orientent pas vers les mêmes spécialités, comme l’a démontré Sabine Bessière. Les femmes sont par exemple surreprésentées en pédiatrie, en dermatologie, dans la médecine du travail ou en gynécologie ; c’est d’ailleurs la spécialité où elles sont le plus représentées, car 90 % des gynécologues sont des femmes. À l’inverse, elles sont très peu nombreuses en chirurgie, car seulement 1 chirurgien sur 4 est de sexe féminin. La chirurgie orthopédique, la chirurgie urologique ou encore la chirurgie vasculaire sont les domaines les plus masculins, avec moins de 5 % de femmes.
Mais, en soit, est-ce si grave qu’une répartition des professions ait lieu entre hommes et femmes médecins ?
Si on s’arrête là, non, en soit, rien n’est grave. Seulement, si on creuse un peu plus, on prend conscience des mécanismes à l’œuvre au sein du monde médical, qui bloquent les femmes dans leur accession à tout type de postes.
D’une part, malgré leur surreprésentation dans certaines spécialités, comme en gynécologie par exemple, les chefs de service de ces spécialités demeurent des hommes. Cela signifie que la féminisation d’une spécialité ne permet pas aux femmes d’accéder massivement aux postes à responsabilité. Et ça, c’est grave. Cela démontre qu’il y a un plafond de verre, un blocage, un système qui coopte les hommes à ces postes valorisés. C’est inacceptable.
D’autre part, les femmes qui évoluent dans des spécialités largement masculines souffrent, encore plus que leurs collègues d’autres spécialités, d’un environnement de travail sexiste. De manière générale, 78 % des femmes médecins déclarent avoir été victimes de comportement sexiste, et un tiers ont subi des gestes à connotation sexuelle ou des attouchements. Mais cette vérité est d’autant plus marquée, mécaniquement, dans les spécialisées peu féminisées. Et ça, c’est grave, et c’est inacceptable.
À l’hôpital comme ailleurs, c’est toujours la même histoire, toujours les mêmes constats. Et c’est grave, très grave. Je pourrais implorer et espérer que la société change pour que les choses changent. Mais les choses ne se feront pas toutes seules. À quand des vraies actions, pour que les étudiantes en médecine, comme toutes les autres femmes, n’aient plus peur d’aller travailler ?
Entretien réalisé par Laurence Aubron.