Vous vous penchez cette semaine sur la question de la place des femmes dans les médias.
Oui, car le monde des médias, en tant que fournisseur d’informations, secteur professionnel, reflet de nos normes et de notre société, mais aussi en tant que lieu de pouvoir, fait l’objet et est à l’origine d’inégalités entre les hommes et les femmes.
Mais à travers un point de vue plus positif, les médias comptent et peuvent représenter un outil essentiel pour parvenir à l’égalité entre les sexes, car ils peuvent nous permettre de changer les représentations, de parler de la cause des femmes, de rendre visible certaines discriminations, de sensibiliser, d’inspirer. C’est donc à travers ces deux perspectives que les médias doivent être envisagés, à la fois en tant que vecteur des inégalités entre les femmes et les hommes, et comme outil pour faire que les choses changent.
Mais de manière générale, quelle est la situation actuelle des femmes dans le milieu médiatique ?
Alors, pour dresser un état des lieux de la place des femmes dans le milieu des médias, il est nécessaire de prendre en compte différents éléments.
Si on envisage le milieu médiatique comme milieu professionnel, on peut dire que le métier de journaliste s’est largement féminisé, car les femmes représentent entre 40 % et 50 % des journalistes, mais leur répartition en fonction des domaines de spécialisation demeure genrée, elles ont des contrats plus instables, plus de CDD et moins CDI, et elles gagnent en moyenne 15 % de moins que leurs homologues masculins. Au-delà du nombre de journalistes, on n’est donc pas encore parvenu à l’égalité parfaite.
Aussi, si on s’intéresse à leur temps de parole, on s’aperçoit que les femmes ont un temps de parole dans les médias inférieur à celui des hommes : il s’élevait à 36 % en 2019. Cela signifie que les hommes s’expriment près de deux fois plus que les femmes dans les médias.
Et si on regarde qui sont ces femmes dans les médias, on s’aperçoit que celles-ci sont bien moins présentes en tant qu’expertes. Certains journalistes ont par exemple expliqué que les femmes étaient plus réticentes à venir dans les médias, car elles se limitent aux sujets dans lesquels elles sont spécialisés, tandis que les hommes acceptent l’invitation même si la question abordée n’entre pas précisément dans leur domaine de spécialisation.
De même, en tant qu’invités politiques, on est encore loin de l’égalité : le temps de parole politique des femmes plafonne en moyenne à 29 %, et même si le gouvernement est paritaire, le temps de parole des femmes ministres et secrétaires d'État à l'antenne n'est que de 36 % contre 64 % pour les hommes.
Derrière tous ces chiffres, on s’aperçoit qu’il y a une féminisation des médias et qu’on a fait des progrès depuis les 50 dernières années – mais j’ai envie de dire, encore heureux – mais on est encore loin de la parité.
Mais, le bilan est bien plus contrasté quand on monte dans la hiérarchie.
Oui, comme toujours. En 2017, dans les médias français, seuls 26 % des postes de directeurs ou directrices de publication ou de rédaction étaient occupés par des femmes. Et si on regarde le nombre de dirigeantes des principaux médias français, les femmes se font encore plus rare. Sauf que ces postes de direction sont aussi des postes de pouvoir.
Et en quoi l’absence des femmes à ces postes de pouvoir est-elle si problématique ?
Car les dirigeant·es des médias ont une influence certaine sur les contenus diffusés, sur la ligne éditoriale du média, et sur la politique de l’entreprise en matière d’égalité femme/homme.
On a tous observé les modifications du positionnement de certains médias qui ont été racheté récemment.
Et si on se base sur la théorie de la construction des problèmes politiques, on peut affirmer que les médias jouent un rôle central dans la mise à l’agenda des sujets politiques, en s’intéressant à tel sujet plutôt qu’à tel autre. Ils ont aussi un impact sur la manière dont sont envisagés les sujets d’actualité : ils ne sont pas neutres dans la manière dont ils les traitent et peuvent orienter la vision de leur public. Il suffit de prendre un article sur un même sujet, par exemple le chômage, traité dans un journal plutôt de droite, comparé à un journal plutôt à gauche.
L’ensemble de ces éléments peuvent paraître dérisoires, mais ils ont un impact énorme sur la détermination et la manière dont sont envisagés les sujets d’actualité, donc in fine sur les responsables politiques, et sur l’action publique.
Mais les médias représentent également un lieu de violences sexistes et sexuelles, et de remarques misogynes.
Le monde médiatique n’est que le simple reflet de notre société : à la radio et à la télévision, comme dans la rue ou au travail, on observe ces mêmes réalités : stéréotypes de genre entre les journalistes, remarques sexistes, agressions sexuelles, et j’en passe. Ce qui est le plus choquant, c’est qu’il y a quelques années encore, des agressions sexuelles étaient intégrées dans les bêtisiers, ce qui participait indéniablement à minimiser le sens et la teneur de ces agressions.
Les médias représentent une source d’espoir pour la féministe que je suis, car les journaux, radio et télévisions ont un lien direct avec nous, et peuvent donc nous amener à faire évoluer nos représentations, nos stéréotypes ; ils peuvent donner la parole aux féministes et défendre la cause des femmes en couvrant ses combats.
Mais ils peuvent également faire tout l’inverse, en dénigrant la parole des femmes, en donnant une tribune aux misogynes, ou en ne réprimandant pas des comportements inappropriés.
J’ai espoir, mais la vérité, c’est que la situation est bien fragile. Le retour de bâton n’est jamais loin.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.