Vous nous parlez cette semaine du lien entre écologie et féminisme.
Tout à fait. Je souhaitais parler cette semaine du lien qui a été établi entre la domination de l’homme sur l’environnement, et la domination de l’homme sur la femme. Ce lien a été mis en évidence par la théorie de l’éco-féminisme, qui a « mis au cœur de sa réflexion la question des relations de genre et de domination dans l'approche de la protection environnementale ».
En d’autres termes, les mécanismes de destruction de l’environnement et d’oppression des femmes auraient une source similaire : un système reposant sur la domination et la violence. L’ambition de cette théorie est donc immense : en résolvant la problématique de la domination masculine, nous pourrions limiter le changement climatique, et inversement.
Mais il faut savoir que cette théorie de l’éco-féminisme n’est pas nouvelle, car ce concept est apparu pour la première fois en 1974, dans l’ouvrage Le Féminisme ou la mort de l’écrivaine Françoise d’Eaubonne. Ces deux problématiques des inégalités femmes/hommes et de l’environnement, et le lien qui a été établi entre elles ne datent donc pas d’hier.
Mais au-delà de la théorie, dans les faits, est-ce que les hommes polluent davantage que les femmes ?
Et bien la réponse est oui : de nombreuses études prouvent et confirment qu’il existe des disparités de genre dans les comportements individuels et professionnels à l’origine d’émissions de gaz à effet de serre.
Oriane Wegner, en s’appuyant sur une étude suédoise de 2021, a démontré qu’en moyenne, un homme émet 16 % de gaz à effet de serre de plus qu’une femme, soit environ 2 tonnes de CO2 par an en plus.
Comment expliquer cette différence ? Quelles sont les origines de cet écart ?
Ce sont les habitudes de consommation différentes en fonction du genre qui expliquent que les hommes polluent plus que les femmes. Les hommes ont des pratiques plus émettrices en termes d’alimentation, d’alcool, de modes de transport, de voyages, etc.
Par exemple, sur la question de l’alimentation, des chercheurs britanniques ont démontré dans une étude de 2021 que le régime alimentaire des hommes émettait 41 % de plus de gaz à effet de serre que celui des femmes. D’ailleurs, selon un sondage Ifop de la même année, sur les 2,2 % de la population française déclarant adopter un régime végétarien, 67 % sont des femmes.
Un autre facteur déterminant est celui du mode de transport, et notamment la voiture. L’étude suédoise d’Annika Carlsson Kanyama, René Benders et Jonas Nässén estime que les hommes ont une consommation de carburant 70 % supérieure à celle des femmes.
Mais il est essentiel de noter que pour ces deux facteurs, l’alimentation et la voiture, des normes genrées y sont associées. Par exemple, la voiture est associée à un élément de réussite sociale pour l’homme, mais est aussi un objet de puissance, de vitesse, de domination de l’homme sur l’objet, ce qui renvoie à des normes genrées liées au masculin.
Pour ce qui est de l’alimentation, des normes masculines y sont également associées. C’est tout l’objet de l’intervention de Sandrine Rousseau sur le barbecue, qui pointait du doigt la dimension virile de cette mission. Elle a été largement caricaturée, tout comme de nombreuses autres féministes, mais le fond de ce qu’elle disait, est bien véridique.
Enfin, les normes associées au féminin produisent quant à elles, l’effet inverse : la dimension du care, de prendre soin des autres, conditionne les femmes à prendre également soin de la nature et de l’environnement.
Et il ne faut pas non plus oublier que ce sont les femmes qui subissent davantage les conséquences du changement climatique …
Tout à fait : selon l’ONU, les femmes ont 14 fois plus de chances que les hommes de mourir à cause d’une catastrophe naturelle.
Par exemple, le tsunami de 2004 dans l’océan Indien permet d’illustrer ce constat : sur les 200 000 morts recensés lors de cette catastrophe naturelle, 80 % étaient des femmes en Indonésie, et 73 % en Inde, selon le Programme de Développement des Nations Unies.
De même, des travaux de l’ONUindiquent que 80 % des personnes chassées de leur domicile par des événements climatiques extrêmes sont des femmes.
Cette théorie et ces chiffres sont particulièrement intéressants car ils permettent de démontrer la dimension des inégalités Nord/Sud et du genre dans le changement climatique.
Mais, est-ce que mettre en lumière ce lien entre genre et environnement permet vraiment de faire avancer les choses à la fois pour la cause des femmes, et pour la cause écologique ?
Mettre en avant le lien qui existe entre le genre et les émissions de CO2 permet de« repenser la manière de lutter contre la crise écologique et contre les inégalités hommes-femmes en établissant une convergence entre les deux ».
Il ne s’agit pas de dire que tous les hommes sont des gros pollueurs et que toutes les femmes sont de bonnes écolo : pas du tout ! Il s’agit simplement d’utiliser cette dimension du genre comme outil de réflexion dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.
Une pierre à l’édifice pour identifier l’ensemble des leviers que nous pouvons mobiliser, à l’échelle individuelle, politique et internationale pour lutter contre le changement climatique.
Comme le souligne Oriane Wegner, on gagnerait à prendre cette question du genre dans les politiques publiques climatiques, car des politiques ciblées, qui prennent en compte l’ensemble des facteurs jouant un rôle dans les émissions polluantes, sont des politiques plus intelligentes, et pertinentes.
L’enjeu climatique et la cause des femmes méritent des politiques clairvoyantes.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.