Vous abordez cette semaine la thématique de l’homme déconstruit
Oui, je souhaitais revenir cette semaine sur ce concept, souvent caricaturé, moqué, et incarnant le fossé générationnel de la cause des femmes, car il s’agit d’un concept nouveau mis en évidence par le féminisme de nos jours.
Mais à quoi renvoie cette expression d’homme déconstruit ?
Et bien il s’agit d’un homme qui s’est détaché de la manière dont il a été construit. Mais déjà, revenons à l’origine de la construction de l’homme.
Tous les individus sont construits par la société, par des normes qui varient selon les époques, les cultures, les classes sociales, mais aussi le genre. C’est ce que l’on appelle la socialisation, et dans le cadre de la construction des rôles sociaux des hommes et des femmes, il s’agit de la socialisation genrée, qui commence avant même notre naissance et continue tout au long de notre vie. En d’autres termes, c’est par cette socialisation genrée que nous apprenons à agir comme un homme ou une femme, à performer les attendus liés à notre sexe. Ce processus agit afin que les petits garçons apprennent à être garçon et à se comporter comme tel, et aux petites filles à être filles et avoir les comportements qu’on attend d’elles.
Mais, est-ce que vous pourriez nous donner des exemples concrets de cette socialisation genrée ?
Bien sûr. Par exemple, les attendus comportementaux des garçons, puis des hommes sont de ne pas pleurer, de ne pas montrer leurs faiblesses, de montrer leur force et leur puissance physiquement et mentalement, de s’exprimer, de protéger les filles, etc. À l’inverse, les comportements attendus des filles puis des femmes sont d’être calmes, douces, à l’écoute, à prendre soin des autres, à être maternelles, à ne pas prendre trop de place, à être portées sur leurs émotions et leur apparence, d’être belles et féminines. C’est à cause de ces normes que ça nous dérange qu’un homme se maquille, se mette du vernis ou joue à la poupée.
Nous avons tous été construit pas ces règles, qui sont en fait des normes liées au genre.
Mais pourquoi est-ce important de comprendre comment agit cette socialisation, et en quoi est-elle néfaste ?
Cette socialisation genrée est essentielle pour comprendre les inégalités hommes femmes, car elle en est à l’origine. Ces rôles sociaux que nous devons performer à la fois en tant qu’hommes et en tant que femmes ont un impact sur notre destin, à travers notre métier par exemple. Cette socialisation genrée explique la surreprésentation des femmes dans les métiers du ‘care’, du soin, d’aide à la personne, et leur sous-représentation dans des métiers valorisants la force et la puissance, comme la police, l’armée, ou les postes de direction.
Cette socialisation genrée est également à l’origine des stéréotypes de genre qui nous enferment dans des attendus et dans des cases, juste parce que nous sommes nés hommes ou femmes, qui sont source de pressions à l’échelle individuelle pour se conformer. Et sans oublier que ces stéréotypes causent aussi des discriminations lorsque l’on n’entre pas dans ces cases.
De nombreux problèmes prennent leur source dans cette socialisation genrée. Par exemple, 96,4 % des prisonniers incarcérés sont des hommes. Cette statistique n’est que l’illustration de la manière dont cette socialisation genrée agit : en valorisant la force et la puissance chez le petit garçon puis l’homme, on construit aussi l’homme violent, ce qui explique ce chiffre.
Et c’est en cela que l’avènement de l’homme déconstruit est justifié ?
Exactement. L’homme déconstruit, c’est un homme qui est libre de se fixer ses propres normes, et qui refuse le modèle masculin qu’on lui impose. C’est un homme qui ose pleurer, qui n’a pas peur de ses émotions, de ses faiblesses. Un homme qui s’investit dans la vie de ses enfants dès le premier jour. Un homme qui est fier de sa compagne qui gagne plus que lui. Un homme qui refuse que certaines tâches lui soient confiées ou soient confiées à sa compagne « parce que c’est comme ça ». Un homme qui ne se plie pas au fait de devoir « se comporter comme un homme ». Un homme qui refuse les injonctions genrées, qui refuse d’être prisonnier de son genre.
Mais surtout, cet homme déconstruit, c’est un allié de la cause des femmes. Un allié conscient du sexisme à l’œuvre dans notre société, et de ses conséquences, à l’écoute de la parole des femmes, un défenseur de la cause féministe, sans l’accaparer.
Mais alors, comment déconstruire ? Nous pouvons déjà essayer d’élever nos enfants de manière déconstruite, ou tous nous interroger individuellement sur cette construction, et sur notre propre déconstruction.
Et souvenez-vous, déconstruire les normes qui s’imposent tant aux hommes qu’aux femmes, c’est devenir un peu plus libre. Vive la liberté d’être ou ne pas être.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.