Vous souhaitiez nous parler cette semaine de la place des femmes dans le sport.
Oui, je souhaitais aborder cette question, car elle revêt de nombreux aspects de la lutte pour la cause des femmes. Leur absence, les injonctions, les inégalités de reconnaissance, les inégalités salariales, les traitements abusifs, les propos sexistes, et j’en passe. Le monde du sport révèle tout un ensemble d’inégalités, qui sont encore loin d’être résolues.
Mais commençons par le début : l’histoire des femmes et du sport, c’est d’abord l’histoire d’une absence.
Tout à fait. Jusqu’au début du 20e siècle, les femmes ont été exclues de la plupart des compétitions sportives internationales. Pour lutter contre cette inégalité, des associations ont été créées, comme la Fédération des Sociétés Féminines Sportives Françaises présidée par Alice Milliat, ou encore la Fédération Internationale Catholique d'Éducation Physique et Sportive créée par Marie-Thérèse Eyquem.
Ces deux organisations ont fait face à une opposition féroce, liée à la moralité de l’époque, selon laquelle “ La femme n'est pas faite pour lutter, mais pour procréer ”, selon les termes du Docteur Boigey en 1922. Pierre de Coubertin a également affirmé qu’aux Jeux Olympiques, “ le rôle des femmes devrait être surtout, comme aux anciens tournois, de couronner les vainqueurs. Une olympiade féminine serait impensable et impraticable ». Mais cette opposition n’a pas été suffisante pour décourager les militantes et les sportives comme Alice Milliat, Suzanne Lenglen, ou encore Violette Morris pour briser les normes morales de l’époque. Grâce à leurs exploits et leurs actions, en 1928, le sport féminin est pleinement reconnu aux JO.
Cependant, à cette date, le pourcentage de femmes parmi les athlètes s’élève seulement à 9 % environ. Mais progressivement, les femmes gagneront leur place dans le milieu du sport et aux JO. Ce pourcentage atteint 13 % aux JO de Tokyo de 1964, puis 20 % à Montréal en 1976, 45 % à Rio en 2016, et enfin 48 % aux JO de Tokyo en 2020.
Mais ces chiffres ne révèlent pas tout… Les sportives ont subi et subissent encore des injonctions en termes de féminité.
Oui, si les chiffres témoignent de réelles avancées, les normes quant à elles n’ont que peu évoluées…
En 1895, aux États-Unis, des règles ont été instaurées pour les basketteuses, notamment l’obligation de tirer les paniers avec une seule main et d’exercer trois dribbles maximum afin de rester gracieuses sur le terrain ; elles n’avaient pas non plus le droit d’arracher le ballon, tandis que le port de la jupe était obligatoire dans d’autres sports.
Cela peut nous faire sourire aujourd’hui, mais dans la réalité rien n’a changé.
Quand Serena Williams porte une tenue noire couvrante à Roland-Garros en 2018, au lieu d’une jupette très courte, de nombreux commentateurs ont jugé cette combinaison « peu élégante » et ne correspondant pas « au style vestimentaire du tournoi ». Injonction.
Par ailleurs, on a tous déjà entendu : « Elle est peut-être championne olympique mais elle n’est quand même pas très féminine ». Injonction.
Une femme devrait rester féminine même dans l’exploit sportif. Pourquoi ? Et bien parce que ça nous dérange. Le sport est une forme d’expression de la virilité, de la force, de la puissance et du courage. Alors, ça entre en contradiction avec l’image construite de la féminité. C’est pour ça que systématiquement, lorsqu’on regarde des sportives, on ne peut s’empêcher de faire des commentaires sur leur physique, ce que l’on ne fait pas systématiquement pour les hommes.
Et les tenues des sportives témoignent également de cette injonction.
En effet, et l’exemple le plus saillant est sûrement celui de l’athlétisme. Regardez les tenues des femmes pour le saut en longueur, le saut en hauteur, ou le sprint. Ce ne sont pas des shorts, mais des culottes, pas des tee-shirts, mais des brassières. Je me demande si cela signifie que le sport féminin est intéressant à regarder uniquement à cause de ces tenues. Regarderions-nous quand même l’athlétisme ou le tennis si les femmes portaient des shorts et pantalons plus longs ? Au lieu de culottes et de jupes ?
Ainsi, de nos jours, on accepte que les femmes concourent dans les compétitions sportives, mais attention, il ne faut pas qu’elles en oublient d’être féminines. Injonction.
Et côté rémunération, l’égalité est encore loin d’être réalisée…
Oh oui, et c’est peut-être là qu’on est le plus loin de l’égalité Laurence… Parlons des battantes déjà : Billie Jing King a fait appliquer l’égalité des primes de l’US open en 1973. Il aura fallu attendre 2000 pour l’Open d’Australie et 2007 pour Roland Garros. Mais depuis, le tennis est un sport relativement égalitaire, preuve que nous pouvons y parvenir.
À l’inverse, on est loin de cette égalité dans le monde du football ou du rugby. Les primes de match des footballeuses sont 10 fois inférieures à celles des hommes. Le rugby féminin a un statut amateur, donc les joueuses gagnent 0 €, tandis que le salaire mensuel moyen d’un joueur de top14 est de 17 000 €. Dans le basket, le hand, le golf ou encore le volley, les hommes ont une rémunération 2, 3 ou 4 fois supérieure à celle de leurs homologues féminines. Autre illustration : aucune femme ne figure parmi le classement des 100 sportifs les mieux payés au monde en 2017.
Pourquoi le sport est-il si important pour comprendre la cause des femmes ?
Et bien parce que ce milieu revêt tous les enjeux et toutes les batailles que nous avons du mener, que nous devons mener, et que nous mènerons encore pour parvenir à l’égalité. Il a fallu se battre pour gagner notre place dans les compétitions internationales, se battre pour la reconnaissance de nos performances, se battre pour l’égalité financière, se battre contre les propos sexistes. Se battre, encore et toujours.
Ce que j’aimerais dire, et ce que j’aimerais entendre, tant pour nos sportives que pour la cause des femmes, ce sont des encouragements. Encouragez-les, encouragez-nous, mais surtout, jouons ensemble, battons-nous ensemble pour rendre cette partie, ce monde, plus égalitaire.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.